Le Blog

Fichage politique d’initiative partagée

Savez-vous que la liste des signataires pour le référendum d’initiative partagée sur l’Aéroport de Paris sera rendue publique ?

Extrait des mentions légales du site : « La liste des électeurs soutenant une proposition de loi est accessible par ordre alphabétique des noms des électeurs […] Cette liste, accessible aux seules fins de consultation, précise pour chaque électeur soutenant la proposition de loi son nom, son ou ses prénoms et sa commune d’inscription sur les listes électorales »

Cela veut donc dire qu’amis, ennemis, partis politiques, publicitaires, employeurs, organisations à but non démocratique, tous pourront vérifier qui pense quoi. Charmant.

Bien sûr, la loi interdit de constituer à partir de là un fichier politique de citoyens français… mais on sait que ça ne gênera pas les plus malhonnêtes ni les plus dangereux, et pas plus les entreprises ou les puissances étrangères…

Les lois et décrets qui organisent le référendum d’initiative partagée, qu’on doit aux précédentes législatures et gouvernements, ont donc abouti à un résultat simplement scandaleux en termes de fichage public des citoyens.

Depuis le lancement de la campagne de signature, j’hésite donc. Au-delà même de la question de la privatisation d’une entreprise stratégique et rentable pour l’État, je suis plutôt favorable à une démocratie qui consulterait plus souvent sa population. Mais, franchement, j’ai du mal à envisager d’aller m’inscrire de moi-même dans un fichier politique public.

D’un autre côté, depuis des mois, j’hésite aussi à parler de ce risque, car c’est un bon moyen de participer à plomber ce premier essai de référendum pétitionnaire, d’autant plus qu’on sait que la barre des 4,7 millions de signataires sera très difficile à atteindre.

Je sais que quelques députés me lisent. Il serait vraiment sérieux de construire un nouveau RIP, qui n’obligerait pas les citoyens à auto-dénoncer publiquement leurs opinions politiques. Et quitte à faire cela, à réfléchir à tous les modèles existants, de la Suisse à l’Angleterre en passant bien sûr par les propositions liées au RIC. Sans passer à l’ochlocratie, le pouvoir de l’ochlos, la foule, il est tout de même urgent que la démocratie représentative écoute mieux le dêmos, le peuple.

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En festival à Cherbourg

Dimanche 1er septembre 2019, je serai à Cherbourg au festival Voyageurs Immobiles pour une démonstration de dessin numérique, une table ronde, et bien sûr pour discuter avec tous ceux qui le voudront.

L’ensemble de la manifestation se passe au Quasar, un magnifique lieu au centre de Cherbourg qui regroupe une artothèque, une bibliothèque, un théâtre et un musée d’art. C’est là que se tient en ce moment la grande exposition consacrée à Jack Kirby par la 9e Biennale du 9e Art. Bref, de multiples raisons de venir dans le Cotentin !

 

Mon programme :

12h : Apéro super-héros
Échange avec Jean-marc Lainé, Jérôme Félix, Valérie Mangin, Nicolas Beaujouan et votre serviteur sur le thème du super héros.
Lieu : Foyer du théâtre à l’italienne

15h : Démonstration de dessin numérique
Pendant une bonne heure, je vais vous raconter comment, depuis 30 ans, j’utilise les outils numériques pour dessiner. Ce sera aussi l’occasion de poser toutes vos questions.
Lieu : Bibliothèque Jacques Prévert, espace musique

Je signerai mes livres à ceux qui le souhaiteront, mais il n’y a pas d’horaire défini pour l’instant. Je ne ferais pas de dédicaces dessinées, comme à mon habitude.

 

Valérie et moi vous attendons nombreux !

Confusion & point Godwin

L’ambiance est totalement à la confusion en ce moment. Mais totalement.

Ce matin, je vois des amis, qui sont tous sauf des idiots, s’offusquer d’un article titrant : « Emmanuel Macron : Je souhaite la suppression de la Cour de justice de la République »1. Et de commenter sur Facebook : « Les premiers pas vers une vraie dictature. J’espère me tromper. » ou bien « Mais oui, bien évidemment ! La prochaine étape, il se laisse pousser la moustache, mais une toute petite hein, juste en dessous du nez… »

Précisons, déjà, que c’est un article de 2017, présentant une annonce faite devant le Congrès. Pourquoi réapparait-il soudainement sur les réseaux sociaux, commenté comme si c’était une déclaration récente ?

Mais surtout, on présente comme un pas vers la dictature un projet qui allait au contraire faire redevenir les membres du gouvernement des justiciables comme les autres. En effet, la Cour de justice de la République, c’est une juridiction d’exception qui a été créée par les politiques pour être sûr que seuls les politiques jugeront les politiques au pouvoir. La Cour de justice de la République c’est 12 parlementaires et seulement 3 juges qui s’occupent de rendre la justice concernant les actes des membres du gouvernement. La supprimer est donc une très bonne nouvelle, ça veut dire que ce sera enfin la justice commune et indépendante qui jugera les actes des ministres au pouvoir, et non d’autres politiques avec tous les risques de justice de classe qui vont avec.

La mauvaise nouvelle, c’est que ce discours a deux ans. Un projet de révision constitutionnelle a pourtant été à deux doigts de passer. Même si ce projet de loi mettait encore des limites (filtrage des plaintes, cour d’appel), c’était donc un vrai progrès démocratique2.

Et boum, affaire Benalla. Grosse tension entre Sénat et majorité, et report du projet. On n’en a pas vraiment entendu reparler depuis. Et on peut se demander si le gouvernement a toujours autant envie de rogner sa protection juridique vu le climat actuel…

Ce petit exemple pour montrer à quel point l’ambiance est totalement à la confusion en ce moment. Tout le monde saute sur la moindre miette pour traiter l’autre de facho. Quitte à être totalement à côté de la plaque, à tirer tout dans son sens, à dire des contrevérités, voire à se tirer même des balles dans le pied.

Et je dis bien tout le monde, car c’est hélas une mauvaise habitude prise par tous les camps : en gros, le peuple est populiste donc fasciste, le pouvoir est policier donc fasciste, les écolos c’est la dictature verte donc des fascistes, les capitalistes c’est les alliés objectifs des fascistes, les pro-Europe sont libre-échangistes, donc capitalistes, donc fascistes, les anti euro, même de gauche, sont nationalistes donc fascistes, les religions sont évidemment fascistes, les médias et les réseaux sociaux sont fascistes à tour de rôle… sans parler de tous ceux qui se taisent qui sont bien sûr complices des fascistes.

Il est vraiment urgent que tout le monde se calme un peu. Il y a urgence à sortir du point Godwin et de l’insulte permanente. Car si tout le monde veut la guerre civile, on va l’avoir. Et quand notre démocratie, toute imparfaite qu’elle soit, sera vraiment en ruines, qui prendra le pouvoir ?

Oups, j’allais écrire « les fascistes ».

Notes

S’habituer à l’horreur

Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Des milliers de SDF, femmes, hommes, enfants meurent chaque année dans la rue. Des milliers de migrants, femmes, hommes, enfants meurent chaque année en méditerranée. De l’indignation des débuts dans ces deux cas, ils restent maintenant un vague sujet médiatique, une virgule dans les journaux télé, et encore…

Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Lorsque Rémi Fraisse a été tué, on a eu l’impression que ça ne concernait que les zadistes. Lorsqu’Adama Traoré a été tué, que c’était un problème de banlieue. Lorsque Shaoyao Liu a été tué, que c’était un problème de chinois. Lorsque Zineb Redouane a été tuée, que c’était un problème de pas de chance, qu’il ne fallait pas aller à la fenêtre de son appartement quand les forces de l’ordre tirent des grenades dans tous les sens.

Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Hier, c’est probablement le cadavre de Steve Maia Caniço qui a été retrouvé dans la Loire. Pendant la fête de la musique, une intervention policière irresponsable a probablement fait se noyer un jeune homme sans histoire. Et on a déjà l’impression que cela ne va rien changer, puisque, de fait, dans l’ensemble des cas qui précèdent, c’est pour l’instant officiellement la faute à pas de chance ou, pire, la faute de la victime…

Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Plus il y a de morts, moins la mort compte. Plus il y a de morts, moins il ne semble y avoir de responsables. Il semble même devenir normal de perdre un œil dans un tir direct ou de se faire déchirer le fondement par une matraque.

Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. On se demande ce qui pourrait bien encore faire dérailler ce processus. On en serait presque à espérer que la prochaine victime de ce genre de “dramatique accident” soit un proche d’un politique de premier plan, d’une vedette ou d’un milliardaire. À force de charger et tirer dans le tas, ça va finir par arriver. On a l’impression qu’il n’y a plus que ça qui pourrait faire comprendre, du sommet de l’État jusqu’au café du commerce, que quand une société s’habitue à l’horreur, ce n’est pas que les pauvres, les “étrangers” et les militants qui sont menacés du pire. Quand une société s’habitue à l’horreur, c’est tout un chacun qui peut croiser son chemin.

Aux armes, citoyen ?

Ce matin, j’ai répondu à France Culture au sujet de la Red Team que va créer le ministère des armées avec des auteurs de science-fiction pour nourrir ses capacités d’innovation. Pourquoi m’interroger moi, alors que le recrutement ne commencera qu’à la rentrée ? En fait, j’avais fait partie d’une première expérience du genre qui avait eu lieu, discrètement, pendant les Utopiales de Nantes, le grand festival de la science-fiction.

Je me souviens que, quand on m’avait proposé d’y participer, cela m’avait posé un vrai problème de conscience. La Marine venait nous chercher, moi et deux autres auteurs de SF, dans l’espoir, je cite, de « s’affranchir autant que possible des moyens habituels de la prospective ». Nous devions apporter dans ce petit groupe de travail mixte avec des officiers « la créativité de la SF ». Ça, je m’en sentais capable, d’autant plus que la guerre de demain, voire universelle, c’est clairement dans ma réflexion d’auteur. Et puis, avec un peu de chance, on allait enfin me construire le robot géant dont je rêvais gamin.

Plus sérieusement, je m’étais posé une vraie question : est-ce que j’avais envie, est-ce que j’étais même simplement prêt à travailler, même ponctuellement, avec l’armée de mon pays ?

D’un côté, l’étudiant des beaux-arts qui avait tout fait pour être réformé du service militaire me criait « Non, mais ça ne va pas ? Tu veux les aider à tuer des gens ? Et si par hasard, tu les aidais à faire émerger une idée qui s’avérerait meurtrière ? Genre bombe nucléaire, virus Ebola ou Terminator ? » Au-delà de cette angoisse viscérale, j’essaye depuis toujours d’éviter le conflit et la destruction, tentant, vainement souvent, de rassembler et de construire… Il n’y a donc pas grande chose de pire pour moi que de prendre les armes, de partir en guerre, même intellectuellement…

De l’autre côté, à presque 50 ans, j’en ai fini avec un certain romantisme, voire un certain angélisme, et j’ai bien compris que nous n’avons pas que des amis autour de nous. Je ne suis pas prêt à dire : « OK, démantelons nos arsenaux et notre armée et, devant tant de bonne volonté, les autres vont s’incliner et faire de même. ». Je me suis donc demandé s’il n’y avait pas quelque chose de l’ordre du faux-cul à se laver les mains des questions militaires. Genre moi je suis monsieur propre, mais je compte quand même sur l’armée pour me défendre…

Comme c’était pour un seul atelier, une seule après-midi, j’ai dit oui. C’était le meilleur moyen d’éprouver la réalité de tous ces sentiments entremêlés. Et puis, bon, en quelques heures, je ne risquais pas de changer le destin de l’humanité.

J’ai bien fait d’y aller, ce fut passionnant, comme toujours quand on échange avec des gens très différents. Je me suis rendu compte qu’au-delà d’avoir des idées originales d’auteur de SF, le fait de pouvoir dessiner des schémas, voire des engins qui me passaient par la tête était un vrai plus pour mes interlocuteurs. J’ai découvert beaucoup de choses et rencontré des gens plus qu’intéressants. Bref, j’ai passé un bon moment. Et je n’ai eu à tuer personne.

Je suis sorti de cette rencontre sans avoir réussi à trancher dans mes sentiments très contradictoires. Je ne sais toujours pas si c’est la place ou le rôle d’un auteur de SF.

En fait, quelque part, ça rejoint ce que je vis dans la lutte syndicale en faveur des auteurs. Je ne suis pas, politiquement, un grand supporter du libéralisme économique, ni de l’actuel gouvernement. Mais, « en même temps », il faut bien réussir à travailler avec lui. Car si je ne devais travailler qu’avec les pouvoirs publics qui auraient exactement les mêmes valeurs sociétales et politiques que moi, je pourrais attendre longtemps…

Ceci est valable, en fait, pour l’ensemble de nos interactions. À un moment, il faut faire avec le réel, pas avec nos fantasmes.

Bref, quand j’étais plus jeune, j’étais un idéaliste qui se refusait à tout compromis. J’avais fière allure, j’étais bien drapé dans ma dignité, et je pouvais contempler le reste du monde avec les certitudes de celui qui croit connaître le bien et le mal. Depuis, j’ai compris que tout était bien plus compliqué. J’ai appris qu’il n’y avait rien de plus immobilisant que d’avoir peur de se salir les mains. J’ai compris qu’avancer, construire, faire, voire simplement exister ne pouvait se faire sans compromis. J’ai compris que vivre, pleinement, c’était accepter de se tromper. Souvent.

 

Sujet Red Team à 12 mn :

Réforme des retraites : les auteurs meilleurs avocats que les avocats

Aujourd’hui, je me suis fait une belle frayeur rétrospective. Hier, nous avons  obtenu un arbitrage très favorable aux artistes-auteurs dans les recommandations du Haut-commissaire pour la réforme universelle des retraites à venir. Or on découvre aujourd’hui que les représentants des avocats ont été beaucoup moins attentifs aux risques de cette réforme universelle :

Les avocats estiment être les plus menacés parmi les professions libérales: « Le doublement des cotisations retraite, de 14 à 28% provoquera notamment une hausse exponentielle du taux de charges des avocats, passant ainsi de 46 à 60% ». Source : Le Figaro

Depuis que je me suis aperçu pendant l’été 2017 que tout le monde nous avait oubliés dans la compensation de la CSG, j’ai compris une chose : nous ne pouvons compter que sur nous même. C’est pour ça que la Ligue des auteurs professionnels s’est créée, c’est aussi pour ça qu’elle s’est emparée très fortement du dossier de la réforme des retraites : si nous n’avions pas mobilisé toutes nos énergies pour faire comprendre au haut-commissaire, aux parlementaires et aux pouvoirs publics le risque pour la création, nous aurions nous aussi basculé à 28% de cotisations sociales…

Bref, les artistes-auteurs ont été meilleurs avocats de leur cause que les avocats…

Alors, auteurs, autrices, si ce n’est pas déjà fait, adhérez à la Ligue des auteurs professionnels : ligue.auteurs.pro

Les auteurs pris en tenaille

Depuis quelques jours, je ne sais pas quoi dire qui ne soit pas totalement négatif sur ce qu’on entend de la part des éditeurs mais aussi des libraires. Avec les États Généraux de la Bande Dessinée, nous avons essayé de créer un espace de discussion afin de faire comprendre à toute la chaîne du livre que ses différents maillons ne pouvaient continuer à faire comme si le premier, les auteurs et autrices, n’était pas en train de craquer. Au contraire, les déclarations d’éditeurs, d’organisateurs de salon ou de libraires se lavant les mains de ces problèmes se multiplient1 2, dans une sorte de moment de vérité : c’est comme ça, ma brave dame, on ne peut rien y faire…

Pour faire très court, les livres ne se vendent plus assez et ce serait donc aux auteurs de se débrouiller pour survivre avec des rémunérations de plus en plus faibles, ou d’en tirer les conséquences et d’arrêter. Pourtant, c’est très précisément le rôle des éditeurs, des diffuseurs qui leur appartiennent de plus en plus et des libraires de vendre les livres. On pourrait se dire que ce serait principalement à eux de se remettre en cause…

Comme les livres se vendent de moins en moins tout seuls, de plus en plus d’éditeurs mettent des clauses de promotion dans les contrats. Sans payer ce travail, ni même s’engager, en échange, à faire un marketing de soutien. C’est donc aux auteurs et autrices de passer leurs week-ends sur les routes pour aller vendre leurs livres à coup de rencontres et de dédicaces. C’est aussi à eux d’animer les réseaux sociaux, voire d’arriver avec une communauté de lecteurs toute prête. Et, de voir même des libraires reprocher aux auteurs invités de ne pas faire assez fait la promotion en ligne des événements dans leur librairie3.

Les ventes baissent, la part de la vente directement soutenue par le travail promotionnel des auteurs eux-mêmes ne fait que croitre. Mais il est hors de question de les payer un tant soit peu pour ça4 5.

Vraiment, très chère chaîne du livre, réalises-tu la tenaille que tu es en train de resserrer autour des auteurs ? Crois-tu vraiment qu’elle puisse encore se refermer longtemps sans que les auteurs et autrices trouvent un autre débouché un peu plus rentable à leur travail ? Quitte à vendre peu en faisant le gros de la promotion eux-mêmes, ne serait-il pas plus logique pour les auteurs de s’autoéditer ? De vendre en circuit court ? Physiquement et/ou via des plateformes internet dédiées ?

Je fais partie de ceux qui croient au rôle des éditeurs (et diffuseurs) et des libraires. Pour les éditeurs, choisir, faire des paris créatifs, financer le risque, le faire dans la durée. Pour les libraires, choisir à leur tour, être force de recommandation directe auprès du public, le faire dans la durée, chacun sur son territoire avec toutes ses spécificités. C’est indispensable pour construire les œuvres fortes de demain. Mais si ce rôle est intégralement reporté sur les auteurs et autrices, qu’est-ce qui justifie encore l’existence de la chaîne du livre ?

Ne jamais oublier que ce sont les auteurs et autrices qui contrôlent la ressource. Ils sont les puits de pétrole. Pourtant, tout le reste de la chaîne du livre à l’air de considérer que, si elle doit légitimement en vivre, elle n’a pas payer à son juste prix la ressource initiale. C’est un choix qui ne peut que se retourner contre elle. Si la chaîne du livre n’offre plus aux créateurs et créatrices la possibilité de vivre de leur art, cela veut dire qu’ils n’ont plus aucune raison de ne pas reprendre le contrôle de la ressource, et de l’exploiter librement et sans intermédiaire.

C’est une question que les auteurs et autrices se posent un peu plus chaque matin. L’industrie culturelle du livre ferait bien de se la poser elle aussi avant de découvrir les réponses que les créateurs et créatrices, en particulier les plus jeunes, vont y apporter.

Notes

1Jacques Glénat, fondateur et PDG d’un des plus gros groupes d’édition de la BD, déclare au sujet de la rémunération des auteurs : « Que tout le monde n’arrive pas à en vivre, c’est un peu comme si un sculpteur ou un peintre expliquait qu’il arrêtait parce qu’il n’arrive pas à vendre ses œuvres. Oui, c’est embêtant, mais malheureusement, c’est le succès qui fait la différence. »
https://www.actualitte.com/article/bd-manga-comics/payer-les-dedicaces-je-trouve-cela-presque-contre-nature-jacques-glenat/95620

2Yves Schlirf, directeur général adjoint de Dargaud Benelux : « La bande dessinée, ce n’est pas un métier en soi. Cela devient un métier quand on vend. […] Il faudra faire autre chose, un autre métier. Ce n’est pas parce que l’on veut faire de la BD que l’on va gagner sa vie. Et ce n’est d’ailleurs la faute de personne : un auteur doit avoir de la chance, trouver un public. Mais le métier de dessinateur s’ouvre sur plusieurs autres domaines. »
https://www.actualitte.com/article/bd-manga-comics/la-bande-dessinee-devient-un-metier-quand-on-vend/95082

3On découvre dans une enquête du SLF dévoilée aux Rencontre nationale de la librairie 2019 que « pour les libraires, le premier objectif d’une animation n’est pas d’augmenter les ventes (même si cela reste évidemment intéressant). Ils souhaitent avant tout donner une image dynamique de leur librairie et profiter d’un moment de partage et de convivialité avec leurs invités. », que cela se nécessite « que l’auteur fasse aussi fonctionner son réseau. C’est un partage, on ne peut pas être seul à porter ça. » mais que pour 75% des libraires « l’idée de rémunérer l’auteur n’est pas souhaitable et impliquerait clairement une réduction du nombre d’animations qu’ils organiseraient ou un transfert vers les animations sans auteurs »
https://www.actualitte.com/PDF/animations-librairie.pdf

4Au sujet de la rémunération de la dédicace, Jacques Glénat complète : « l’auteur qui fait une conférence, cela me parait normal qu’il soit rémunéré, mais celui qui vient faire la promotion de son livre, rencontrer des gens, je ne vois pas pourquoi on le payerait, c’est déjà une opportunité. Qu’on soit payé pour signer un livre, je trouve cela presque contre nature, car l’auteur est content de partager son travail avec les gens, d’entendre des questions, des commentaires… Ce serait un rapport un peu bizarre »
https://www.actualitte.com/article/bd-manga-comics/payer-les-dedicaces-je-trouve-cela-presque-contre-nature-jacques-glenat/95620

5Enfin, pour terminer, on lira cette longue note explicative d’un organisateur de salon, assez impoliment resté anonyme, qui, s’il éclaire la question, n’a clairement pas compris que toutes ces justifications ne changeaient rien à la réalité du sort des auteurs :
https://www.actualitte.com/article/tribunes/interroger-la-remuneration-des-dedicaces-des-questions-aux-reponses/95541

L’année de la BD… pas celle de ses auteurs

L’année de la BD sans les auteurs de BD, ce serait cocasse, non ?

Je suis assez remonté, je ne vais pas vous le cacher. Avant de vous expliquer pourquoi, il est nécessaire de faire un petit rappel historique, très incomplet, mais très significatif (vous pouvez cliquer sur les dates pour en savoir plus) :

  • Juin 2014 : annonce d’une violente hausse des cotisations de notre retraite complémentaire (le RAAP). Mobilisation des auteurs de BD.
  • Octobre 2014 : débrayage et grande assemblée générale organisée à St-Malo par le Groupement des Auteurs de Bande dessinée (SNAC)
  • Octobre 2014 : annonce à l’AG de St-Malo de la création des États Généraux de la Bande Dessinée (EGBD)
  • Janvier 2015 : grande manifestation des auteurs pendant le festival d’Angoulême, organisée par le SNAC
  • Janvier 2015 : première session des EGBD pendant le même festival d’Angoulême
  • Janvier 2016 : remise de l’enquête auteurs des EGBD : 1500 réponses, et confirmation de la précarisation des auteurs : la moitié des professionnels sont sous le SMIC !
  • Septembre 2016 : premières rencontres nationales de la bande dessinée à la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image : « La bande dessinée au tournant »
  • Janvier 2017 : convention de partenariat triennale entre la CIté et les EGBD. Le directeur de la cité, Pierre Lungheretti, s’empare du sujet.
  • Septembre 2017 : les auteurs de BD s’aperçoivent que la hausse de la CSG n’est pas compensée pour les artistes-auteurs ! Je rencontre Françoise Nyssen, alors ministre de la culture, à ce sujet. Promesses.
  • Janvier 2018 : la ministre confie à Pierre Lungheretti une mission de réflexion sur la politique nationale en faveur de la bande dessinée. Enfin !
  • Fin 2018 : les organisations d’auteurs découvrent que la réforme universelle des retraites pourrait tourner au cauchemar pour les auteurs au moment où une mesure “de soutien” bricolée vient enfin compenser la hausse de la CSG…
  • Janvier 2019 : remise du rapport Lungheretti. Beaucoup de propositions. Le nouveau ministre de la Culture, Franck Riester, décide d’en adopter de suite une : 2020 est déclarée année de la BD. Super, on avance !
Franck Riester, Ministre de la Culture, Pierre Lungheretti, directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, et votre serviteur, présent en tant que vice-président de la Ligue des auteurs professionnels, coordinateur général des États Généraux de la Bande Dessinée et pilote au SNAC BD.

Résumé : l’année de la BD n’existe donc que parce que les auteurs se sont mobilisés contre la dégradation de leurs rémunérations et la hausse conjointe de leurs cotisations sociales et qu’ils ont enfin réussi à faire entendre qu’il y a un vrai danger pour l’avenir de la BD au Ministère de la Culture.

Alors comment est-il possible que le pilotage de l’année de la BD fasse comme si les auteurs et leur condition sociale et économique n’était même pas un sujet ? Malgré les recommandations très claires que les EGBD et le SNAC BD ont fait au groupe de travail ? Alors que ça devrait être au centre des préoccupations ?

Le Centre national du livre – rencontres, lectures, actualités mais aussi le Syndicat National de l’Édition pensent-il vraiment que les auteurs vont regarder en souriant le petit business de la BD s’autocongratuler sur la santé de la BD pendant un an ? Que les auteurs vont avoir à cœur de venir encore une fois faire de la promotion gratuitement ? Comme si de rien n’était ?

Franchement, moi qui suis sur le pont à défendre les auteurs jour après jour depuis toutes ces longues années, j’hallucine totalement ! Comment peut-on afficher un tel mépris pour les auteurs et leurs difficultés ? Et si ce n’est pas du mépris, qu’est-ce que c’est ? Va-t-on finalement nous dire qu’on a manqué d’attention ? Qu’on a juste, c’est ballot, oublié comment on en était arrivé à cette année de la BD ?

La part et la peur des auteurs

J’avais dessiné l’année dernière la Marianne marchant négligemment sur les auteurs pour illustrer nos États généraux du livre. Malheureusement, elle reste d’actualité, vu que l’État, après nous avoir oublié pour la hausse de la CSG (elle ne sera définitivement compensée qu’en 2020) nous fait maintenant très peur avec la réforme universelle des retraites qui pourrait être explosive pour les auteurs.

Le tome 2 des États généraux du livre portait cette année sur le partage de la valeur. En effet, beaucoup l’ignorent, mais la plupart des auteurs ne gagnent qu’une part très faible du prix de vente d’un livre, en général 8% du prix hors taxe. En Bande Dessinée, s’il y a un scénariste et un dessinateur, c’est donc 4% pour chacun… Dans l’édition jeunesse, les co-auteurs se partagent souvent seulement 5%… Qui dit moins ?

Lorsque le Conseil permanent des écrivains (CPE) qui réunit l’ensemble des organisations d’auteurs du livre m’a demandé de remettre le couvert, j’ai un peu cherché un angle. Puis, m’est revenu en tête notre première cession des États Généraux de la Bande Dessinée en 2015 où le président du RAAP, la retraite complémentaire des auteurs, avait tenté de défendre une réforme qui ne passait pas du tout. Il avait, entre autres choses, projeté un camembert de la répartition de la valeur dans la chaîne du livre, expliquant à un parterre d’auteurs et d’éditeurs comment marchait leur secteur. Suite à ça, les petits surnoms affectueux avaient fleuris, dont celui de « roi du camembert ».

Je suis donc parti sur l’idée du camembert. Ça tombe bien, moi aussi j’adore le camembert, je milite même pour sa défense comme les habitués de ce blog le savent. Plus sérieusement, le camembert, permet d’évoquer la répartition de la valeur, en particulier la faible part de l’auteur. Mais il permet d’évoquer aussi le côté petit producteur exploité de l’auteur. Pour insister sur nos difficultés actuelles, j’ai montré la part de l’auteur renversée et en train de couler :

J’ai envoyé, mais, là, retour gêné de mes amis du CPE : Ils trouvaient l’image trop déprimante, voire qu’elle donnait une impression de puanteur. Je confirme, c’était aussi le but visé : je trouve que la situation pue, et pas qu’un peu, et pas que pour les auteurs. J’avais essayé de faire une image caustique, mais même avec humour, une partie des autres organisations du livre trouvait ça déjà trop grinçant. Soit, je repartis à la recherche d’une autre idée.

Il fallait quand même bien évoquer cette part trop faible des auteurs, d’autant plus qu’on avait décidé entre temps de mettre en avant une revendication simple pour porter ces États généraux du livre : demander 10% de droit d’auteurs minimum. Histoire que les auteurs aient quand même droit à une part minimum du gâteau. Part du gâteau… part du gâteau… Mais, oui, là on n’allait pas me dire que ça puait ! La causticité restait là, avec un petit côté tout le monde est à la fête, mais celui qui en est à l’origine ne risque pas de faire d’abus de sucre…

Le CPE trouvant cela parfait, je me fis vite une raison, le principal était que le message passe, quitte à l’atténuer un peu.

Et pourtant, même un savoureux gâteau semble être une arme de destruction massive.. Le CPE avait demandé de pouvoir annoncer le tome 2 des États généraux du Livre sur le stand du Centre national du Livre (CNL) lors du salon Livre Paris.  Pour prolonger mon image, les représentantes de la SGDL et de la Charte avaient proposé qu’on partage sur le stand CNL un vrai gâteau avec le public, un gâteau qu’on aurait commandé identique à mon dessin. L’idée, à la fois gentiment revendicative mais surtout conviviale, avait séduit le CPE… mais pas le président du CNL, Vincent Monadé, qui nous l’interdit donc formellement. C’est dans ce genre de moment qu’on sait que même l’ensemble des organisations d’auteurs du livre réunies ne pèsent rien face à la crainte qu’ont certains de la réaction des éditeurs. C’est dans ce genre de moment qu’on comprend qu’il va falloir se montrer plus dur et revendicatif, car autrement la situation ne pourra que continuer à se dégrader.

Ultime rebondissement de ce feuilleton, j’ai finalement réutilisé le camembert que j’avais fait au début. C’est la Ligue des auteurs professionnels qui en a hérité pour son premier Rendez-vous.

À la Ligue, ce genre d’image ne fait peur à personne. Peut-être parce que ceux qui l’ont fondée ont décidé d’arrêter d’avoir peur et au contraire de combattre la catastrophe en cours. En effet, nous avons pleinement conscience que si les choses n’évoluent pas rapidement pour rééquilibrer la chaîne du livre en faveur des auteurs,  alors ce sont les auteurs professionnels qui vont disparaître. Cela entrainera une crise de toute la chaîne du livre. La question de la répartition de la valeur laissera alors place à celle de l’effondrement de la valeur pour tous les acteurs la chaîne du livre, éditeurs, diffuseurs, libraires… N’ayons pas peur de le dire : renforcer la part des auteurs aujourd’hui, c’est sauver le livre de demain.

Pour terminer, je précise que je ne suis pas payé pour ce travail, contrairement à toutes les revendications que nous avons sur le paiement de tout travail. Mais mon engagement social en faveur des auteurs s’est fait bénévolement jusqu’à maintenant, je ne vois pas trop pourquoi, là, ce n’aurait pas été le cas. Vous avez aussi peut-être remarqué que, sans me cacher d’avoir fait ces dessins pour le CPE ou la Ligue, je ne les ai pas signés. Il y a une seule raison à ça : j’ai cherché à faire des images les plus simples possibles, à la limite du logo, et la présence de ma signature ne ferait qu’en compliquer inutilement la lecture. Et puis, soyons clair, je n’ai pas dessiné pour exprimer mon sentiment personnel, mais pour porter un message collectif des auteurs, autrices et artistes : c’est donc tous et toutes qui signent.

Un étonnant retournement de l’Histoire

The New Yorker est un excellent magazine américain connu pour la qualité de ses auteurs et de ses illustrateurs. Le 17 juillet 1944, un peu plus d’un mois après le débarquement allié en Normandie, il publie une couverture de Rea S. Irvin transposant les événements du moment dans le style de la célèbre Tapisserie de Bayeux.

Cette illustration souligne un étonnant retournement de l’Histoire : en effet, en 1944 les armées venues d’Angleterre ont débarqué sur des plages proches de celle de Dives dont était parti, en 1066, l’armée du duc Guillaume pour conquérir cette même Angleterre. Un peu partout dans la région, ces deux pans d’Histoire se sont télescopés. Par exemple, à Caen, la population s’est abritée des terribles bombardements anglo-américains qui ont rasé une bonne partie de la ville en se réfugiant dans les abbayes romanes édifiées par Guillaume le conquérant.

Par miracle, le débarquement, les bombardements et les batailles de chars qui ont suivi ont épargné la magnifique ville de Bayeux où nous habitons aujourd’hui. C’est même une des rares cités qui n’a pas souffert de la bataille de Normandie, là où tant d’autres ont été partiellement ou totalement rasées, comme Saint-Lô ou Le Havre. Au contraire, Bayeux, située juste en face des plages du débarquement, fut la première ville libérée de France continentale. On a presque l’impression que les Parques, les divinités de la destinée, avaient décidé que la cité et la Tapisserie qu’elle accueille depuis près d’un millénaire devaient être épargnées. Comme s’il fallait s’assurer que ce trésor historique survive pour témoigner de cet étonnant retournement de l’Histoire.

L’original de l’illustration de Rea S. Irvin