Tandis que les données de l’enquête auteurs des États Généraux de la Bande Dessinée (EGBD) sont en cours d’analyse, on apprend que L’Association, éditeur le plus connu des grandes heures de l’édition alternative, est en grande difficulté financière. On en parle trop peu, mais la crise économique est en train de faire de terribles dégâts dans la Bande Dessinée, que ce soit chez les éditeurs, les libraires ou les auteurs.
En fin de message, l’Association appelle les pouvoirs publics à donner enfin suite au rapport Racine. Rappelons que la mission Racine est née des demandes qu’avait réussi à porter la toute jeune Ligue des auteurs professionnels auprès du ministre de la Culture d’alors. Rappelons que la Ligue est clairement née de l’émoi provoqué par la première enquête des EGBD. On en revient donc au point de départ, 10 ans après, sans que le terrible constat de l’époque n’ait convaincu les pouvoirs publics de protéger enfin sérieusement la création BD.
Dans quelques mois, feront-ils de même avec les nouveaux résultats que les EGBD publieront ? Si c’est le cas, l’« exception culturelle francophone que le monde nous envie » dont parle l’Association n’aura sans doute pas grand avenir.
Bon courage à l’Association. Si vous souhaitez les aider et lire le texte dont je parle, c’est ici :
Dix ans après la première, les États Généraux de la Bande Dessinée vont relancer une nouvelle étude sur la situation économique et sociale des auteurs et autrices de BD. Le bureau de l’association, constitué de Benoit Peeters, Valérie et Mangin et de votre serviteur, explique le pourquoi et le comment dans l’excellent podcast R2PI.
La semaine dernière j’étais dans les vénérables murs du Collège de France pour le colloque Nouveaux chemins de la bande dessinée qui venait conclure l’année de cours de Benoît Peeters. On y a entendu des interventions passionnantes. Si vous voulez vous faire une idée des enjeux actuels, c’est à écouter ou réécouter.
Lors de l’intervention que je partageais avec Loo Hui Phang et Pierre Nocerino (ci-dessus) j’ai essayé, sans taire les immenses difficultés actuelles des auteurs et autrices, de finir sur une note un peu plus ambitieuse.
Petit détail amusant : quand Benoît a présenté mon travail en début de de table ronde, j’ai vu s’afficher sur l’écran géant la couverture de mon dernier album paru. Je vais donc pouvoir me gargariser d’avoir permis à Goldorak d’entrer au Collège de France 🙂
Voici l’ensemble des vidéos, dans l’ordre chronologique :
Introduction Benoît Peeters
Une bande dessinée de poésie Jan Baetens (auteur)
La bande dessinée de non-fiction David Vandermeulen (auteur)
Au-delà du papier, vers le numérique Julien Baudry (université Bordeaux Montaigne) :
La recherche et l’enseignement de la bande dessinée. Thierry Groensteen (auteur), Irène Leroy-Ladurie (revue Neuvième art), Sylvain Lesage (université de Lille)
Les évolutions du marchéXavier Guilbert (site Du9)
Éditer la bande dessinée. Christel Hoolans (Kana – Le Lombard), Benoît Mouchart (Casterman), Serge Ewenczyk (Çà et là)
Auteurs et autrices, un métier en danger ? Pierre Nocerino (chercheur), Loo Hui Phang (autrice), Denis Bajram (auteur)
Lire et faire lire la bande dessinée. Vincent Poirier (libraire), Sonia Déchamps (journaliste-modératrice), Pascal Mériaux (BD Amiens)
Exposer et conserver la bande dessinée. Anne-Hélène Hoog (CIBDI Angoulême), François Schuiten (auteur), Jean-Baptiste Barbier (galeriste)
Depuis octobre 2022, le Collège de France consacre à la Bande Dessinée un cycle de cours, de séminaires et de colloques sous la direction de Benoît Peeters. Pour ceux qui l’ignoreraient, le Collège de France, c’est le graal de la reconnaissance intellectuelle et universitaire.
En octobre 2020, dans le cadre de l’Année de la BD, la vénérable institution avait demandé à Benoît Peeters d’organiser une journée sur le 9e Art. Benoît est évidemment un des scénaristes, historiens et théoriciens les plus respectés de la BD, mais a aussi animé à nos côtés les États généraux de la Bande Dessinée qui ont provoqué, entre autres, le rapport Lungheretti et cette Année de la BD 2020.
Deux ans plus tard, le Collège de France a décidé d’aller plus loin et de confier à Benoît la chaire Création artistique. Cours, séminaires, colloques, c’est un très riche ensemble qui nous est proposé durant toute cette année académique 2022-2023.
J’avoue que Valérie et moi regrettons bien de ne plus habiter Paris pour aller écouter de vive voix notre ami Benoît. Heureusement, l’ensemble des cours du Collège de France sont en ligne, en vidéo et en podcast. Je vous ai mis les principaux liens déjà disponibles ci dessous.
Ce cycle se conclura le 7 juin par le colloque Nouveaux chemins de la bande dessinée. J’ai l’honneur d’être dans les intervenants conviés par Benoît Peeters. Si l’on m’avait dit un jour que j’irais dire quelques mots sur la scène du Collège de France… Merci Benoît !
On aurait pu croire que la réforme des retraites allait, au moins, profiter aux plus petites pensions. Mais il devient très clair que bien peu sont concernées par la fameuse hausse à 1200 euros annoncée par le gouvernement. En gros, si vous avez une carrière incomplète, si vous avez travaillé à temps partiel ou si vous avez été sans emploi un temps, vous ne ferez pas parti des « veinards ». Quand c’est BFMTV qui l’écrit, et non l’Humanité, on commence à savoir à quel point cette réforme coûtera beaucoup à tous sans vraiment profiter aux plus faibles.
Qu’en est-il pour les auteurs et autrices ? Avec l’absence de tout contrat de travail comme de l’assurance chômage, leurs carrières sont souvent en dents de scie. Dans le milieu de la Bande Dessinée, elles ont en plus du mal à démarrer réellement avant 25 ans… Avec des cotisations en vrac, on peut donc imaginer ce qui attend les auteurs à la retraite.
On pourrait se dire qu’heureusement, dans la création artistique, on ne prend jamais réellement sa retraite, et qu’on peut cumuler des revenus de la création avec sa mauvaise pension. Ce serait penser que la plupart des artistes-auteurs sont encore au travail à 64 ans. Hélas, si on continue à créer en général jusqu’à sa mort, il est très dur de rester toute sa vie professionnel au sens d’en tirer des revenus suffisants. Suffisant ne serait-ce que pour acquérir par ce biais des trimestres de retraite.
Pour la BD, l’étude des États généraux de la Bande Dessinée de 2016 a montré cette entrée tardive dans le métier mais aussi une éviction précoce à partir de 50 ans. Dans les faits, je vois bien que la plupart de mes jeunes collègues des années 90 ont dû changer de métier depuis. Le succès est déjà rare dans nos pratiques, mais conserver un succès plusieurs décennies confine au véritable miracle. La plupart des auteurs gagnant moins que le SMIC mensuel ils finissent, à un moment, par craquer et se réfugient, s’ils le peuvent, dans un métier moins précaire. Ceux qui restent n’ont plus qu’à prier pour ne pas être ringardisés et remplacés par de jeunes entrants toujours plus nombreux et souvent moins chers…
On le voit, être artiste-auteur aujourd’hui, c’est la promesse pour la très grande majorité d’être des professionnels précaires. Et c’est la certitude derrière cela d’en payer le prix durant la retraite. Cette précarité n’est pas l’apanage des créateurs. Elle se répand dans toute notre société au fur et à mesure que le salariat est remplacé par l’indépendance. Combien de millions de Français sont-ils condamnés au minimum vieillesse ? Il est vraiment urgent de penser une réforme des retraites qui permettra à toutes et tous de vieillir dans la dignité. Et pour cela de repenser un marché du travail qui permettra à toutes et tous de travailler et de cotiser dans la dignité.
Je viens de parcourir la riche étude sociologique que Sylvain Aquatias (sociologue) et Alain François (chercheur en histoire visuelle contemporaine) ont consacré aux auteurs et autrices de Bande Dessinée en Charente.
Si vous n’avez pas le temps de la lire en entier, je vous en recommande la conclusion, qui commence page 382. Petit extrait :
Pas de champ, pas d’habitus, peu de véritable structuration professionnelle, il faut le dire clairement : les auteurs de bande dessinée ne sont quasiment jamais uniquement des auteurs de bande dessinée. Cette profession est une invention qui a permis, en son temps, de faire reconnaître la bande dessinée. Cette légitimation a été partiellement au moins la cause de la précarisation des auteurs. Ce n’est pas là un effet habituel de la légitimation d’un art, on l’admettra. Mais il n’y a pas non plus d’École Nationale ou de Conservatoire de la Bande dessinée, de Scène Actuelle de la bande dessinée, de labels nationaux distinguant un atelier, une maison d’édition, etc. C’est la conséquence d’une légitimation qui n’a pas été à son terme, quoi qu’on puisse en dire, en laissant le marché seul diriger le destin des auteurs, sans régulation aucune.
Vous pouvez télécharger l’étude complète sur le site de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image :
PS : je suis aussi heureux de voir que les travaux des États Généraux de la Bande Dessinée continuent à nourrir en profondeur la recherche sur les auteurs et autrices de Bande Dessinée.
Auteurs, autrices, pouvons-nous nous rendre à notre atelier pour travailler ? Il est évident que pour que le confinement sanitaire soit le plus efficace possible, ceux qui le peuvent doivent rester chez eux. Mais le manque de certains matériels ou de place à domicile peuvent imposer de devoir aller travailler à son atelier.
Heureusement, si on lit le décret1 qui régit le confinement sanitaire actuel, il semble tout à fait possible de continuer à s’y rendre, et ce sans limite de temps ni de distance. Je vous renvoie à ce sujet l’analyse juridique2 du syndicat CAAP, qui est comme toujours des plus justes
Cependant on sait que pendant le premier confinement certains représentants des forces de l’ordre se sont montrés très inquisitoriaux. Il ne faut donc surtout pas hésiter à abuser des documents prouvant à la fois que vous êtes auteur et que vous avez un atelier professionnel.
Voici une petite liste de documents à présenter en cas de contrôle :
Attestation de déplacement dérogatoire :
Case cochée : « déplacements entre le domicile et le lieu d’exercice de l’activité professionnelle ».
Attestations que vous êtes artiste-auteur :
attestation Urssaf artiste-auteurs
avis de situation SIREN (si vous avez un SIREN)
copie de relevé récent de droits d’auteur
copie de contrat d’édition
tout simplement un de vos livres les plus récents
Document prouvant l’existence du local professionnel :
copie du bail de location
copie de l’avis de taxe foncière
attestation d’assurance
facture téléphone, EDF etc. récente
pourquoi pas copie d’un article de journal présentant l’atelier
N’hésitez pas à multiplier les pièces, au cas où vous tomberiez sur un contrôleur exagérément tatillon.
Chers confrères et consœurs, si à cause des nombreux bugs vous n’arrivez pas à déclarer vos revenus sur le site de l’URSSAF avant le 1er septembre, ne paniquez plus : il n’y aura pas de pénalité de retard. L’URSSAF vient en effet enfin d’admettre par un tweet la panade dans laquelle elle a mis les artistes-auteurs.
Ceci dit, c’est la moindre des choses ! Les auteurs et autrices ne sont pour rien dans tout ça, il aurait été hallucinant de les pénaliser ! On aimerait maintenant que l’URSSAF leur présente des excuses, vu les heures de travail perdues à remplir un site dysfonctionnel et les angoisses que ça a provoquées chez beaucoup d’artistes-auteurs. En fait, les pénalités, nous les avons déjà payées, en temps et en stress…
Ces problèmes, nous les avions vu venir à la Ligue des auteurs professionnels. Il y a un an, avec d’autres, nous avions dit aux ministères de tutelle que la réforme ne serait pas prête à temps, que c’était trop risqué, qu’il fallait la reporter d’une année. En vain.
Ce n’est pas la première fois que nous avons raison, hélas. Va-t-on enfin nous écouter ? Va-t-on enfin se rendre compte que nous sommes juste des auteurs et autrices au courant de comment ça se passe pour nous en vrai ? Que nous connaissons mieux les problèmes du terrain que tous ceux qui fantasment de loin sur ce que serait la vie des créateurs et créatrices ? Les pouvoirs publics et leurs mauvais conseilleurs chercheraient à faire couler les plus précaires des artistes-auteurs, ils ne s’y prendraient pas autrement. Mais ce n’est pas un complot, c’est juste la conjonction de l’incompétence et du cause-toujours-tu-m’intéresses.
En clair : il est vraiment urgent que les pouvoirs publics arrêtent de pénaliser les artistes-auteurs au lieu de les aider !
Je découvre par un confrère et ami qui habite à Londres la publication du rapport de l’UK Comics Creator Survey, un projet monté par l’autrice Hannah Berry.
623 créateurs de comics du Royaume-Uni ont répondu à une enquête réalisée entre le 18 avril et le 19 mai 2020. Les données ont été collectées, anonymisées et analysées par une société spécialisée, Audience Agency, qui a ensuite rédigé un sérieux rapport. Le tout a été financé par the Arts Council England, the British Council and the University of Dundee.
C’est un instantané très précis de la scène BD britannique qui offre un passionnant parallèle avec l’étude auteurs des États Généraux de la Bande Dessinée (France, Belgique, Suisse, entre autres). Pour ceux qui sont intéressés de découvrir nos ressemblances comme nos différences, et qui lisent l’anglais, c’est ici :
Antoine de Caunes présentera à la rentrée sur Canal+ une émission nommée Profession. Le premier numéro sera consacré aux auteurs de Bande Dessinée. Invités, Nine Antico, Pénélope Bagieu, Christophe Blain, Catherine Meurisse, Cyril Pedrosa et Riad Sattouf.
Étrange liste. Vouloir parler d’une profession en n’invitant quasiment que des auteurs à succès, c’est d’office ne parler que de l’aristocratie de ce métier. Un travers confirmé sur le plan culturel par la focalisation sur la seule bande dessinée de type Télérama-France-Inter.
Nine Antico aère un peu ce panel, mais on aurait aimé y voir un auteur de genre, si possible bien méprisé par le tout Paris, mais aussi un vieux qui ne s’en sort plus, une très jeune qui commence, un ou une scénariste, mieux un ou une coloriste… la liste des professionnels oubliés est très vaste.
Je ne reproche surtout pas aux auteurs et autrices invités dans cette émission leur réussite, bien au contraire, c’est assez rare dans nos métiers pour qu’on se réjouisse pour eux. Le reproche, c’est aux producteurs et à l’animateur de cette émission qu’il faut le faire. Si les autres numéros sont aussi peu représentatifs des métiers abordés, c’est Success Stories plus que Profession qu’il faudrait l’appeler…
Pour ceux qui veulent avoir une idée de la variété, et souvent de la précarité des auteurs et autrices de Bande Dessinée, on ne peut que leur recommander de parcourir l’enquête des États Généraux de la Bande Dessinée que nous avions réalisée en 2016 :