Eliane

Photo originale : http://www.creabulles.be/medias/album/image20-2.jpgMilieux des années 90. Delcourt publie mon premier album, Cryozone, et je pars donc en tournée de dédicaces en France et en Belgique. À l’époque la plupart des libraires de Belgique s’intéressaient surtout aux auteurs belges et à la production de BD nationale. Mais, avant même de savoir que Cryozone allait être un succès, Eliane m’avait convié à venir dédicacer dans sa librairie Forbidden Worlds à Bruxelles Saint-Gilles. C’est donc ainsi que je fis sa rencontre et celle de son compagnon Cédric qui tenait la librairie de comics parallèle, Forbidden Zone.

Eliane adorait les auteurs, on le sentait dès la première minute. Elle nous ouvrait ses bras avec affection et enthousiasme. J’ai donc vite pris mes habitudes à chaque parution, venant passer quelques jours dans la maison qu’elle prêtait facilement à Bruxelles. J’y ai fait plein de rencontres. C’est Eliane qui eut l’idée, par exemple, de me présenter Didier Tarquin, et de nous faire signer côte à côte, se riant de la guerre que tout le monde voulait voir à l’époque entre Delcourt et Soleil. Ce même Didier Tarquin qui allait me convaincre, avec Christophe Bec, de signer chez Soleil pour y trouver la liberté créative qui m’a permis de réaliser Universal War.

Je raconte cette histoire, car c’est là tout Eliane pour moi : la porte toujours ouverte, toujours partante pour aller boire un coup ou manger un morceau, mais surtout rassemblant autour d’elles des gens qu’on n’imaginait pas ensemble. Grâce à elle, les librairies Forbidden ont été des lieux de vie et de rencontre formidables, et nous y avons toujours eu plaisir, Valérie et moi, à y retourner, parce qu’Eliane pouvait dénicher un livre que personne d’autre ne pouvait nous trouver, parce qu’elle organisait un événement auquel on ne pouvait pas dire non, mais, aussi, et surtout à l’improviste, juste pour prendre des nouvelles de nos amis.

Lorsqu’Eliane et Cédric ont quitté leur librairie, nous nous sommes dit que la BD y avait perdu un petit peu d’âme. Ce matin, en apprenant le décès d’Eliane, c’est tout une époque que nous voyons disparaître. Tu vas nous manquer, Eliane, même si nous ne nous voyions plus du tout assez ces dernières années, se croisant juste pendant le festival d’Angoulême. On t’embrasse très fort, et on embrasse très fort Cédric et tes deux fils. On aura eu beaucoup de chance de te croiser.

 

Photonik revient (et il a besoin de vous)

Vous étiez fans du super-héros français Photonik ? Aujourd’hui, il s’apprête à revivre pour une nouvelle saga sous le crayon de Paul Renaud !

Dans les années 80, alors que j’étais ado, j’étais accro aux revues Lug qui traduisaient les comics de super-héros Marvel en France. Il y avait dans leurs pages, entre autres merveilles, la série Photonik, dont j’adorais particulièrement le dessin, toute en élégance. Quelle ne fut pas ma surprise à l’époque quand mon copain de comics, Jean-Marc Lainé, m’expliqua que Photonik était une création 100% française. Et que ce n’était pas un vétéran de la BD qui réussissait à égaler les Américains, mais un jeune scénariste-dessinateur lyonnais nommé Ciro Tota.

Une décennie plus tard, je rencontrais Ciro chez Delcourt. Il dessinait à l’époque la série Aquablue – Étoile blanche avec Thierry Cailleteau au scénario, ce même Thierry avec qui j’avais failli faire la suite d’Aquablue et pour qui je dessinais Cryozone, une histoire de zombies dans l’espace. Je découvrais avec Ciro, au-delà de l’artiste que j’admirais, une des personnes les plus gentilles que j’ai pu croiser dans ma vie. Il était tellement sympa qu’il proposa au jeune débutant que j’étais un échange de planches. J’ai donc la chance d’avoir à la maison une des pages de l’ultime saga de Photonik, Les Enfants de l’Apocalypse, publiée en 1986 dans les numéros 80 à 83 de Spidey. C’est un des originaux qui fascinent le plus nos visiteurs, parce qu’il est très beau, très fin, mais aussi parce que toute cette finesse est réalisée à l’échelle 1, au format de publication (un grand demi A4) !

Planche dessinée au format de parution, 17 x 25 cm

Le temps a passé. Photonik a continué d’hanter ma génération. C’est par exemple à lui que les amis Stéphane Perger et Luc Brunschwig ont rendu un vibrant hommage dans leur série Luminary parue à partir de 2019 chez Glénat. J’avais moi-même dessiné un Photonik pour la réédition de la série originale en noir et blanc chez Black & White en 2013 . Enfin, dix ans plus tard, allaient paraître chez le même éditeur All Star PHOTONIK, des comics hommages proposés par Paul Renaud, Pierre Alary et Franck Biancarelli.

 

Mon hommage de 2013

Dans son comics de 16 pages, le Toulousain Paul Renaud a décidé de raconter la suite directe de la mythique saga Les Enfants de l’Apocalypse de 1986 dont je parlais ci-dessus. Cet hommage de la part de l’ami Paul m’a paru évident dès qu’il m’en a parlé. Déjà, Paul est aussi adorable que Ciro Tota, ce qui n’est pas peu dire. Mais surtout, Paul est un des plus dignes descendants du travail de Ciro sur Photonik. Il partage la même élégance, la même classe, la même capacité à la retenue et à la force en même temps. Rien de cela n’est une découverte, Paul nous le montrait depuis des années dans ses nombreuses pages et couvertures pour les USA. Car, si Ciro Tota était le Français égaré (avec Jean-Yves Mitton) dans les revues qui traduisaient Marvel en France, Paul Renaud fait, lui, partie des rares Français qui ont été publiés directement et continuellement par les Américains, en particulier par Marvel.

Ce comics All Star PHOTONIK : Les Soldats de l’Apocalypse, paru chez Black & White, en juin 2023, était une vraie réussite. On était cependant nombreux à avoir un gros regret : que ce soit un one-shot, et non le début de nouvelles aventures. Heureusement, Paul a eu le même sentiment que ses lecteurs. Aujourd’hui, les éditions Black & White annoncent donc une excellente nouvelle : le lancement d’un financement participatif pour que Paul s’attelle à une saga de 150 pages !

A la manière de Marvel et DC nous vous proposons de débaucher un auteur phare de Marvel : Paul RENAUD afin qu’il se consacre à la suite officielle de la série culte PHOTONIK. C’est une super production ambitieuse avec de nouveaux personnages mais également le retour de vieilles connaissances, l’histoire se situe 5 ans après les événements des Enfants de l’Apocalypse.

Paul Renaud est un acteur majeur de l’industrie du comics, il en connait ses rouages et contraintes, c’est donc aussi un nouveau départ et un point d’entrée pour les nouveaux lecteurs.

Paul m’en avait parlé il y a des mois, mais il fallait garder le secret. Ce n’était pas si facile, car, vous l’aurez compris, je suis emballé par ce projet. Je ne peux donc que vous encourager à vous joindre au financement participatif :

 

Et si vous êtes présents cette année au Festival d’Angoulême, passez voir l’éditeur sur le stand H19 de l’espace La Place du 9e Art, à côté du marché des halles, ils vous en diront plus. Ce sera aussi l’occasion d’en apprendre plus sur la fin de la série originale de Photonik que nous prépare Ciro Tota de son côté !

 

 

 

 

 

 

Il faut lire Fabrice Neaud

La Bande Dessinée, je vous en ai déjà parlé, nourrit en général bien mal ses créateurs et créatrices. Mes débuts furent donc très difficiles économiquement, je dus quitter Paris pour une ville de province aux loyers bien moins chers. Il s’avère que cette ville abritait un collectif de bande dessinée ambitieux nommé Ego comme X.

Quand je vivais encore à Paris, je lisais avec beaucoup d’intérêt la revue Ego comme X. Et j’étais particulièrement intéressé par les pages d’un certain Fabrice Neaud. Comme les autres auteurs de la revue, il explorait l’autobiographie, une voie bien nouvelle à l’époque en BD. Mais, au lieu d’adopter un dessin-écriture rapide comme celui des auteurs qu’on allait regrouper sous l’étiquette de « nouvelle Bande Dessinée », il était parti dans une direction très différente, nourrit de tradition classique du dessin, mais aussi de comics et de manga. Il avait donc un dessin réaliste très solide qu’il mariait avec une recherche formelle sur la composition et la narration dont je me sentais assez proche.

C’est donc à l’occasion de ce déménagement en province que je rencontrais enfin Fabrice. C’était un garçon truculent, à la conversation volubile. Très vite, nous nous découvrîmes des passions communes : la musique classique, la science-fiction, la philosophie, les arts et les lettres, les comics de super héros… Ce fut le début d’une profonde amitié, de celles très rares, qui emplissent une vie.

En 1996, Fabrice sortit le premier tome de son Journal chez Ego comme X. Un livre si fort qu’il obtint l’Alph-Art du meilleur premier album au festival d’Angoulême suivant. Même si une partie de la critique n’y avait vu que l’autobiographie d’un homosexuel de province, j’y avais surtout vu, moi, une sacrée promesse : on ne croise pas tous les jours une telle qualité formelle sur un premier livre.

Cette promesse fut plus que confirmée par les tomes suivants. Elle le fut sur le fond déjà. Fabrice nous proposait une implacable dissection de sa propre vie, de ses sentiments, du petit monde autour de lui et du contexte social de cette fin des années 90. Fabrice faisait preuve d’une intelligence, d’une lucidité et d’une honnêteté rares, de celles qui changent votre propre manière de regarder le monde.

Mais n‘oublions surtout pas la forme sans laquelle ce fond n’aurait pu être qu’une petite musique sans ambition. Bien au contraire, Fabrice avait usé dans ces nouveaux tomes du Journal non seulement d’un dessin encore plus beau, mais il proposait surtout un vocabulaire d’images, de compositions, de narration extrêmement riche et complexe, à la grammaire aussi inventive que maitrisée. C’était une véritable leçon de Bande Dessinée.

 

Après la fin malheureuse d’Ego comme X (l’économie de la BD est plus que précaire, encore une fois), le Journal de Fabrice Neaud a finalement été réédité chez Delcourt. Mais c’est aujourd’hui seulement que parait, après un bien trop long silence autobiographique, Le Dernier Sergent, dont les événements suivent directement ceux du Journal.

Ce n’est pas sans une certaine inquiétude que je me suis lancé dans la lecture ce Dernier Sergent. J’ai tellement admiré le Journal de Fabrice que je craignais d’être éventuellement déçu. Non pas que je pensais que le livre pouvait être mauvais, ayant déjà vu et lu de nombreuses planches et scènes lors de nos visites chez lui avec Valérie. Cette vision parcellaire m’avait totalement convaincu de l’importance de ce nouvel opus. Mais, nous, lecteurs, sommes ainsi faits, quand nous avons connu une forte émotion avec une œuvre, nous pouvons en garder un souvenir surdimensionné, et nous retrouver bêtement déçus par une nouveauté pourtant remarquable.

Heureusement, j’avais tort d’avoir peur. Si j’écris ce texte, c’est même que je suis à nouveau totalement bouleversé par le travail de Fabrice, comme au premier jour. Je pense même que son silence, forcé, en matière autobiographique a permis à Fabrice d’atteindre une maturité artistique exceptionnelle. Le résultat est tellement fort que je n’oserai pas en parler plus longuement sans l’avoir relu. Tout ceci, vous pourrez le pré-sentir au feuilletage tant les dessins, les pages, les compositions explosent déjà au visage. Ce sont des heures exceptionnelles avec un très grand auteur qui vous attendent.

Alors, si vous ne connaissez pas Journal, n’attendez plus pour le lire. Autrement plongez-vous dans Le Dernier Sergent dès maintenant. Passée la déferlante de sentiments que provoquera cette lecture, vous aurez sans doute, comme-moi, envie de relire toute l’œuvre autobiographique de Fabrice, le temps de patienter jusqu’au prochain opus.

Oui, il faut vraiment lire et relire Fabrice Neaud

 

Web WipEout

Dans les années 90, j’occupais une table d’atelier chez Mathieu Lauffray et on dessinait assidument toute la journée et une partie de la nuit. Enfin, presque. Mathieu avait eu la très bonne/mauvaise idée d’investir dans une grande télévision, sur laquelle on disséquait les films, et dans une magnifique console PlayStation, première du nom. Et parmi nos jeux préférés, il y avait la course futuriste WipEout. Créé par les Anglais du studio Psygnosis, il avait tout pour plaire : ultra fluide et rapide pour l’époque, il renouvelait les sensations d’arcade. Il était beau aussi, loin des rendus assez grossiers de la plupart des jeux, en particulier grâce aux créations visuelles de The Designers Republic, graphistes stars de la scène musicale anglaise. Enfin, la bande son était à la hauteur, avec les meilleurs représentants de la techno et de la big beat, les Orbital, Chemical Brothers ou The Prodigy qu’on découvrait à l’époque.

Aujourd’hui, il est possible de retrouver cette sensation d’un clic. Le code source du premier WipEout ayant fuité l’année dernière, un développeur s’est lancé dans son portage1 sur des plateformes plus modernes. Et en particulier, sur le web ! On peut donc jouer à WipEout sur son navigateur d’un clic sur ce lien (et en téléchargeant 144 Mo de données) :

On voit là quel chemin l’informatique a parcouru depuis 1995. Quand la première PlayStation a débarqué, en particulier avec WipEout, on était bluffé par la puissance, la qualité graphique et la réactivité de la console. C’était, proportionnellement aux ordinateurs de l’époque, franchement une réussite. Dire qu’aujourd’hui, tout cela tourne à fond dans un navigateur web, y compris sur son téléphone ! Si la technologie utilisée, WebAssembly, permet cette efficacité, cela reste une émulation, et donc consomme bien plus qu’un jeu directement écrit pour le processeur. On ne réalise pas que nos iPhones dépassent aujourd’hui aisément le teraflops de puissance de calcul, alors que nos braves PlayStations de 1995 faisaient toutes ces merveilles avec seulement 66 kiloflops sous le capot, soit 10 000 fois moins de puissance que nos « téléphones ». Et pourtant, à l’époque, on s’épatait d’avoir dans cette petite boîte sous la TV du salon presque la même puissance que les supercalculateurs Cray-1 qui nous avaient fait rêver gamins.

Bref, let’s play WipEout again!

Notes

Thierry Cailleteau

Autoportrait avec Thierry Cailletau – 1996

J’apprends à l’instant le décès de Thierry Cailleteau. Quel choc. Et que de souvenirs.

1994. Thierry, fan d’ordinateur, voulait faire un CD-ROM sur Aquablue, la série vedette qu’il scénarisait à l’époque. Il passe donc avec Guy Delcourt à l’atelier de Mathieu Lauffray un des jours où je suis là. Mathieu, jeune auteur de la maison d’édition, leur avait dit que j’étais de bons conseils sur les questions de développement informatique.

Sur ma table, il y a, bien visibles, les planches de L’Arche, un projet de science-fiction que je rêve de signer chez un éditeur. Guy n’en a cure, mais Thierry les regarde quelques minutes. Puis on va déjeuner au restaurant à côté, où l’on discute donc de faisabilité d’un CD Rom. Après le repas, Thierry demande à repasser à l’atelier. Il se plante à nouveau devant ma table et les planches de mon projet SF. Puis me demande, avec le grand sourire qui était le sien, si je ne voudrais pas dessiner un album pour lui. Et j’ai vite compris ce qu’il avait en tête : me faire reprendre Aquablue.

Quelques planches d’essai plus tard, Guy et Thierry m’annonçaient que ce projet ne se ferait pas pour des raisons indépendantes de leur volonté. Mais Thierry ne m’oublia pas, et m’envoya bien vite un autre scénario, Cryozone, une histoire de zombies dans un vaisseau spatial en même temps réaliste et fun. Ce fut donc ma première collaboration au long cours. Je ne compte plus les grandes discussions de passionnés de science-fiction ni le nombre de fax échangés entre nous pour faire le meilleur album possible. Mais ce furent aussi les bonnes rigolades, les heures passées chez lui à jouer à Doom en réseau et les descentes dans les bars de Rouen avec ses nombreux potes.

Nous avons fait les deux albums prévus ensemble. Et grâce à la notoriété de Thierry, j’ai connu le succès avec ces premiers livres. Mais je l’avais prévenu dès le départ que j‘étais un raconteur en images plus qu’un dessinateur. J’ai donc repris ma liberté, et j’ai même dû changer de maison d’édition pour pouvoir écrire seul mes histoires, comme je le faisais depuis mon enfance. Mais c’est une autre aventure.

En écrivant ces lignes, je repense à la dernière fois où nous nous étions revus à Rouen, pour une expo rétrospective sur ma carrière. Je n’ai jamais oublié que celle-ci lui doit beaucoup. J’ai connu la meilleure des entrées dans ce métier grâce à Thierry. Il a su voir dans mes planches de l’époque ce qu’aucun éditeur n’avait perçu avant. Il m’a ensuite livré un excellent scénario, plein d’idées et de scènes passionnantes à dessiner. Il m’a surtout montré qu’une bonne histoire, même à grand spectacle, passait par les personnages. Car Thierry, entre autres par son art du dialogue, avait su mettre dans ceux de Cryozone toute son incroyable truculence. J’imagine qu’avec son départ, la ville de Rouen va sembler soudainement très calme…

Merci Thierry. Et mes condoléances à tous les tiens.

Souvenir avec Leiji Matsumoto

Leiji Matsumoto, le créateur, entre autres, d’Albator, est décédé à l’âge de 85 ans. Avec Valérie et l’ami Berberian, nous avions eu le plaisir de passer une soirée avec lui lors du festival d’Angoulême 2013. Ce fut un moment assez étonnant, nous avions échangé (via interprète) sur beaucoup de sujets. Je dois dire que je garde un souvenir assez marquant de son regard intense et de sa gestuelle calme et incisive.

À la fin, nous avions dédicacé sur le livre d’or de la ville. Impressionnant de dessiner sous l’œil très attentif de Leiji Matsumoto ! Alors que je stressais déjà d’ajouter ma modeste contribution à toutes celles de mes illustres prédécesseurs !

On n’a pas pris de photos. Mais il reste de cette épisode un dessin de Charles Berberian paru dans “Mon Lapin” numéro 1 quelques mois plus tard. Surtout il nous reste le souvenir d’une sacrée rencontre. Merci Leiji Matsumoto !

Mémoire des prix

Source : facebook.com

L’ami Fred Beltran écrit sur Facebook qu’il doit se résoudre à se débarrasser de vieux Macintoshs pourtant acquis à prix d’or à l’époque. Que de souvenirs. En me remémorant le PowerMac qu’on avait acheté à deux avec Mathieu Lauffray, hors de prix pour de jeunes artistes débutants, j’ai donc commenté que ces ordinateurs « coûtaient un rein ». Mais certains me répondent que « ça n’a pas vraiment changé aujourd’hui ». Rien de moins sûr.

Sur la publicité d’époque, on peut voir le prix de la gamme des Macintoshs de 1994.

Si on convertit en euros les 20 000 Francs HT d’un PowerMac 7100, en tenant compte de l’inflation évidemment, on obtient presque 5 000 € HT / 6 000 € TTC d’aujourd’hui. Ce PowerMac 7100 de 1994 à 6 000 € a en gros comme équivalent dans la gamme aujourd’hui le Mac Mini M2 ”pro” à 1 500 €. C’est donc 4 fois moins cher. En performance, c’est évidemment sans comparaison.

Pour rappel, les tarifs du Mac Mini M2 de 2023 commencent à 700 € (et c’est déjà une sacrée bête de course à ce prix). Même le Mac Studio Ultra, horriblement cher, n’est « que » à 4 500 €.

Bref, les prix des PC comme des Mac se sont totalement effondrés en 30 ans à gamme égale. Et c’est vrai pour la plupart des appareils électroniques. Et ce sans tenir compte des prodigieux gains de performance obtenus entre temps. Et pourtant beaucoup continuent à les trouver bien trop chers.

On ne peut donc que recommander de comparer les prix dans le temps, car notre mémoire est très approximative sur ces sujets. Je pratique souvent cet exercice, et c’est plus surprenant qu’on ne l’imaginerait. Je le fais bien sûr aussi sur la rémunération des auteurs et autrices dans l’édition. Et croyez-moi, avec une vision de plus de 30 ans de recul sur les tarifs pratiqués, il y a de quoi avoir peur.

Pour faire des calculs des prix avec l’inflation mais aussi la conversion entre francs et euros entre les années :

Geekerie : l’Amstrad CPC464

En 1984, après avoir fait mes gammes sur les ordinateurs de l’école, des Sinclair ZX81 puis Commodore VIC20, je m’offrais enfin mon premier ordinateur personnel, un splendide Amstrad CPC464 monochrome. J’avais travaillé tout l’été pour pouvoir le payer. Pourtant, c’était l’ordinateur le moins cher de l’époque, et de loin. Il ne coûtait que 2990 francs, ce qui correspond avec l’inflation à un peu moins de mille euros d’aujourd’hui.

Dans l’année qui avait suivi, je lui avais soudé un modem maison pour jouer par téléphone à Pong avec un voisin et, surtout, me prendre pour un pirate comme dans le film Wargame. J’avais aussi réussi à lui adjoindre un petit circuit électronique pour utiliser comme manette de jeu le commodo défectueux de la Peugeot 505 de mes parents. Je codais beaucoup, en particulier mes propres petits jeux vidéo, apprenant l’assembleur du Z80 pour réussir à faire des séquences en 3D filaire. Enfin, j’avais transformé mon Amstrad CPC464 en synthétiseur musical, jouant du clavier de l’ordinateur comme d’une sorte de clavier d’accordéon. Cerise sur le gâteau, ce synthé pouvait restituer de courts sons « réalistes », car j’avais détourné le magnéto cassette interne pour sampler (en 8bits) ce que je voulais…

Et dire que, même avec son processeur tournant à fond, il devait avoir moins de puissance que mon actuel smartphone quand il est en veille !

Je n’ai qu’un seul regret avec cet Amstrad CPC464, c’est de l’avoir vendu quand je suis parti étudier les maths à Paris. Autrement, il trônerait fièrement sur le dessus des étagères de mon bureau, entre le vieux Minitel à clapet et le Mac tournesol transformé en lampe…

 

Un vieux Mac des années 90 dans votre navigateur

Je me souviens de mes débuts sur Photoshop en 1991. J’étais étudiant à l’école des Arts décoratifs de Paris et on y trouvait une incroyable salle informatique emplie d’ordinateurs Mac plus chers les uns que les autres. Dès les premiers cours, j’avais eu droit à une démonstration de la toute récente version 2 d’Adobe Photoshop sur un rutilant « Macintosh II » couleur. Quel émerveillement cela avait été ! On pouvait manipuler une image exactement comme on le voulait, pixel par pixel s’il le fallait ! Que de promesses ! Si on m’avait laissé faire, je n’aurais plus quitter la salle informatique.

Et pourtant, rétroactivement, que ce pauvre Photoshop 2.0 était lent, limité et incomplet (sans même parler de l’archaïsme du système Mac OS 6). Trois décennies plus tard, on a du mal à se souvenir à quel point les débuts de l’informatique personnelle était laborieux. Les grands gagnants étaient surtout les fabricants de machines à café vu le temps qu’on a passé à attendre devant des ordinateurs qui moulinaient…

Heureusement, plusieurs projets permettent de revivre cette incomparable expérience. Si ça vous amuse, vous pouvez dès maintenant essayer cela dans votre navigateur avec un Mac virtuel de 1997.

Vous (re)découvrirez les grosses fenêtres boudinées de Mac OS 8.1, les icônes en mauvais plastique, les polices pixelisées du bon vieux temps. Dans le dossier « Graphics » vous trouverez surtout un Photoshop 3.0, une version presque moderne puisque c’était la première à proposer les calques.

En fouillant dans les autres dossiers, vous pourrez essayer plein d’autres vieux loukoums comme Word 5, Hypercard, Filemaker II, ou des vidéos Quicktime d’époque. Pour les amateurs de retrogaming, c’est aussi l’occasion de jouer les vieilles versions de Prince of Persia, Sim City, Civilization, Indiana Jones, Warcraft II, Maelstrom…

Les ordinateurs d’aujourd’hui sont devenus tellement puissants, qu’ils peuvent émuler nos anciens systèmes en javascript dans le premier navigateur venu. On voit bien là les incroyables progrès qu’ont connus toutes ces technologies en trente ans !

Avec un grand merci à l’excellent Korben pour l’info.

 


Mise à jour

J’avoue que j’ai pris un plaisir fou à refaire quelques parties de Maelstrom, un excellent clone pour Mac du jeu Asteroid d’Atari. Résultat, j’ai vérifié si quelqu’un n’en aurait pas fait un portage moderne. J’ai fini par découvrir que le code source de Maelstrom était devenu libre. Depuis, des passionnés ont continué à le compiler pour des systèmes récents, dont nos Mac M1.

Maelstrom, me revoilààààààààààààà !

L’atelier des années 90

Hier, j’ai publié cette photo sur les réseaux sociaux commentée d’un « Retrouvailles de l’atelier des années 90. De gauche à droite, Xavier Dorison, Alex Alice, Denis Bajram et Mathieu Lauffray ». Beaucoup de lecteurs ont eu l’air de découvrir à ce moment les liens qui nous unissent tous les quatre. C’est vrai que nous nous étalons rarement sur nos parcours, préférant laisser parler nos livres. Alors, ouvrons la boîte à souvenirs.

En 1990, après une année de maths à Jussieu puis deux ans aux Beaux-Arts de Caen, j’ai eu la chance d’être admis dans la prestigieuse École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris. J’y ai rencontré plein d’autres étudiants et étudiantes, plus doués les uns que les autres. Mais la rencontre la plus marquante fut celle d’un certain… Mathieu Lauffray. Ce fut particulièrement pendant les cours de « morphostructure » (manière compliquée de dire géométrie) que nous avons commencé à discuter, en particulier de BD et de comics dont nous étions fans tous les deux. Un jour, en sortant des cours, je l’ai donc suivi à son petit appartement, au pied de la montagne Sainte Geneviève où se situait l’école, et donc en plein quartier des libraires BD.

De proche en proche, j’ai fini par venir de plus en plus souvent pour squatter le second bureau du petit atelier qui occupait la moitié des lieux. On a beaucoup échangé, lui m’initiant aux arcanes de l’illustration ou de l’encrage, moi lui faisant découvrir en échange les subtilités de la narration graphique propre à la Bande Dessinée. Si nous avions tous les deux déjà beaucoup travaillé nos pratiques artistiques, nous l’avions fait dans des axes très différents, et nous avions donc énormément à nous apprendre l’un à l’autre. Finalement, au milieu des années 90, Mathieu signa chez les encore jeunes éditions Delcourt pour son premier album, Le Serment de l’Ambre et je ne tardais pas à le suivre avec Cryozone.

D’autres dessinateurs passaient à l’atelier, les amis de Mathieu bien sûr comme Marc Botta, François Baranger, Nicolas Bouvier aka Sparth… J’y amenais aussi les miens. En parallèle de mes études, j’avais animé des fanzines de BD et participé à l’organisation de festivals. C’est dans le cadre de celui des grandes écoles que j’avais rencontré Xavier Dorison, étudiant en école de commerce qui voulait devenir scénariste. Il m’avait à son tour présenté son comparse dessinateur, Alex Alice, avec lequel ils essayaient de monter un projet BD, très original à l’époque, nommé Le Troisième testament. de la « catholic-fantasy » comme il était amusant de le résumer. Très vite, les présentations avec Mathieu furent faites, et très vite aussi toute la bande s’entendit au mieux.

Mais, après avoir bien gagné ma vie comme graphiste chez Hachette, je me retrouvais jeune auteur de BD sans le sou. N’arrivant plus à me payer un loyer parisien, je dû partir à Angoulême en 1995. La place libérée, Alex travailla ses pages chez Mathieu. Mais il passa aussi du temps chez moi à Angoulême pour s’initier à la narration et à la mise en page. Et enfin, Xavier et lui signèrent Le Troisième Testament chez Glénat.

Mathieu, me voyant dépérir à Angoulême, profita d’un projet de nouvel atelier pour me rapatrier dans son ancien appartement parisien (encore mille mercis, Mathieu, tu m’as sauvé la vie ce jour-là !). En effet, sa nouvelle habitation avait été choisie beaucoup plus vaste pour pouvoir accueillir un très grand lieu de travail collectif.

C’est dans une petite cour de la rue Saint-Denis que la magie allait de nouveau fonctionner. En plus de Mathieu, d’Alex, de Xavier (qui nous rendait visite en sortant de son boulot) et de votre serviteur, les principaux habitués furent Christian Mattiucci ami graphiste rencontré aux Arts déco, Patrick Pion, que j’avais connu à Angoulême, Robin Recht, sans oublier tous ceux passèrent nous voir là-bas plus ou moins fréquemment…

Ce vendredi, profitant de mon passage au festival du Livre de Paris, nous avons réuni le noyau dur historique de l’atelier des années 90. Franchement, quel plaisir de se retrouver ainsi au soleil pour un long repas en terrasse avec Mathieu, Alex et Xavier. Et, pour une fois, on n’allait pas oublier de faire une photo.

En la publiant sur les réseaux sociaux, j’ai bien vu que beaucoup y voyaient une magnifique « dream team » de la BD. C’est vrai que nous avons tous les quatre eu la chance énorme de connaître le succès, parfois même en travaillant les uns avec les autres. Mais ce qui compte pour moi, c’est l’amitié qui nous réunit tous les quatre. Elle est riche d’être à la fois humaine et artistique. Et elle est riche de durer depuis trois décennies. Que ce soit dit, je vous aime, les copains !