Débâcle culturelle en pays de Loire

Vous savez à quel point j’ai plaisir à participer tous les ans aux Utopiales Nantes. S’il y a un endroit ou chaque centime de subvention est utilisé pour démocratiser les connaissances scientifiques, la littérature et les arts auprès du plus grand nombre, c’est bien les Utopiales. Mais la région des Pays de la Loire a décidé de faire des économies massives et sur tout le secteur culturel. Pour les Utopiales, c’est 15 % du budget dédié à la programmation qui disparait. Comme si l’accès à la culture n’était pas un enjeu majeur dans nos sociétés. Quelle erreur historique.

 

La pétition contre cette sombre coupe budgétaire en Pays de Loire :

L’infidélité récompensée

On marche sur la tête. Je suis client fibre chez Bouygues Telecom depuis pas mal de temps, et je vois qu’ils sortent enfin l’offre idéale pour moi, « B&YOU Pure fibre : la fibre, rien que la fibre, sans téléphone, sans télévision. C’est uniquement ce dont j’ai besoin, et ça se voit sur le prix. Hélas, il semble impossible de basculer vers cette offre depuis mon espace client.

Je contacte donc l’opérateur par tchat, où je tombe sur une IA qui visiblement ne connait pas l’offre fibre, pourtant en promo partout, et me parle de mobile. Le conseiller humain qui reprend, heureusement, le dossier me confirme, hélas, que je ne peux pas basculer sur la nouvelle offre. Je m’avance un peu plus : « Aujourd’hui, je ne peux que quitter BBox pour, genre, Red SFR, puis revenir dans un mois pour prendre un abonnement B& YOU Pure fibre ? C’est un peu ridicule, non ? C’est dommage, car je suis très content de Bouygues telecom, je dois dire … »

Soudainement l’argumentaire change de ton, devenant, je trouve, menaçant : « Je vous informe que je ne peux en aucun cas, vous conseiller de résilier et de resouscrire à nouveau, car je ne peux pas vous garantir que vous aurez la possibilité de souscrire à l’offre souhaitée. […] Je vous informe aussi que suite à la résiliation de votre ligne fixe, des frais de résiliation de 59€ seront appliqués sur votre facture de clôture, en plus des renvoi de vos équipements actuels, et la réception des nouveaux, et aussi être présent lors de l’installation de la box par le technicien. Cela, sans avoir ta certitude d’avoir une bonne qualité de réseaux, et de service client. »

La menace sur la qualité du réseau est un peu limite, alors que le réseau fibre local est le même pour tous les opérateurs. La menace de devoir payer 59€ est, elle, particulièrement de mauvais goût, car la plupart des opérateurs prennent en charge les frais de résiliation quand on passe chez eux. Mais j’imagine que ces arguments peuvent avoir un impact avec des clients moins informés…

Bref, si on veut rester fidèle à son opérateur, on est condamné à conserver une offre plus chère et moins adaptée, et si on explique que c’est idiot et qu’on va devoir partir à la concurrence, on se prend un argumentaire un peu limite.

C’est quand même fou qu’il faille être infidèle aux opérateurs, fibre ou mobile, pour avoir les meilleures conditions. Alors que c’est la fidélité qui devrait être récompensée. Je ne sais pas quelle fortune est dépensée par les opérateurs pour recruter les clients de leurs concurrents, ils feraient bien de dépenser une partie de cette somme pour garder ceux qui sont déjà chez eux. À quand un opérateur qui nous garantira de pouvoir accéder en permanence à sa meilleure offre au lieu de vouloir nous traire comme des vaches à lait si on a la mauvaise idée de rester plus de 12 mois chez eux ?

SoBD 2024

En 2012, Renaud Chavanne m’avait demandé de succéder à Lewis Trondheim pour devenir le deuxième parrain de son Salon des Ouvrages sur la BD et pour, en particulier, en faire l’affiche. Cette année, c’est le camarade Fabrice Neaud qui est mis à l’honneur par l’excellente manifestation parisienne. Fabrice, avec qui Valérie et moi avions réalisé l’album concept Trois Christs, réédité justement il y a quelques semaines. Fabrice, dont le premier tome du Dernier Sergent vient d’être récompensé par le prix de la SCAM. Fabrice, qui est, surtout, un très grand ami depuis des décennies.

C’est donc sans hésiter que j’ai accepté son invitation à participer à une des trois tables rondes qui se tiendront autour de son travail. Fabrice est passionnant, son œuvre est exceptionnelle. Je ne peux que vous recommander de venir cette année au SoBD voir l’exposition qui lui est consacrée et l’écouter en parler ! D’autant plus que le SoBD, accueille de nombreux et merveilleux autres invités : Évariste Blanchet, Xavier Mussat, Richard Marazano, Jeanne Puchol, Edmond Baudoin, Olivier Bramanti… et que l’entrée est gratuite !

Et, comme d’habitude, n’hésitez surtout pas à engager la conversation avec moi si vous me croisez dans le festival 🙂


Programme des tables rondes de Fabrice Neaud :

Samedi 30 novembre 2024, Halle des Blancs Manteaux, Salle 1.

▷ 14h00 à 14h50 avec Richard Marazano
Le dessin selon Fabrice Neaud : une pratique à contre-courant ?

▷ 15h00 à 15h50 avec Évariste Blanchet
Conférence des invités d’honneur

▷ 16h00 à 16h50 avec Denis bajram
L’œuvre référentielle chez Fabrice Neaud

Animées par Frédéric Michel.

Programme complet :

Comment faire encore confiance à Facebook et Instagram ?

Saviez-vous que de 2012 à 2019 Facebook et Instagram avaient stocké les mots de passe de leurs utilisateurs en clair dans une base de données, au mépris de toutes les règles de sécurité ? Environ 600 millions d’utilisateurs étaient concernés.

Plus fort, près de 2 000 employés de Meta pouvaient les consulter librement ! Cela veut dire qu’ils pouvaient accéder à tous les contenus de ces comptes, lire toutes leurs conversations privées sur Messenger, regarder des photos tout aussi privées, voire, qui sait, poster à leur place…

De plus, on apprend que ces mots de passes ont été consultés 9 millions de fois en 7 ans ! On se demande ce qui pouvait justifier un tel nombre d’accès à ces comptes ?

Enfin, une fois l’affaire découverte, Meta n’a prévenu personne. Cela veut dire que si ces utilisateurs n’ont pas changé de mot de passe depuis 2019 ou activé la double authentification, leurs comptes restent parfaitement accessibles à tous ceux qui se seraient appropriés ces mots de passe…

L’Irlande vient d’infliger une amende de 91 millions d’euros à Meta pour ça, une somme ridicule pour une entreprise de cette taille. Comme si ce n’était pas une atteinte très grave à la vie privée et une insulte à toutes les lois européennes. Comme si c’était la première fois que Meta était pris la main dans le pot de confiture (Cambridge Analytica, par exemple).

Bref, ne confiez rien de privé aux réseaux sociaux tant qu’ils appartiendront à des incompétents, à des manipulateurs, à des voleurs de données privés, à des évadés fiscaux et à des menteurs compulsifs… Bref, comme ça ne risque pas de changer, ne confiez RIEN de privé, mais vraiment RIEN, aux réseaux sociaux.

Eliane

Photo originale : http://www.creabulles.be/medias/album/image20-2.jpgMilieux des années 90. Delcourt publie mon premier album, Cryozone, et je pars donc en tournée de dédicaces en France et en Belgique. À l’époque la plupart des libraires de Belgique s’intéressaient surtout aux auteurs belges et à la production de BD nationale. Mais, avant même de savoir que Cryozone allait être un succès, Eliane m’avait convié à venir dédicacer dans sa librairie Forbidden Worlds à Bruxelles Saint-Gilles. C’est donc ainsi que je fis sa rencontre et celle de son compagnon Cédric qui tenait la librairie de comics parallèle, Forbidden Zone.

Eliane adorait les auteurs, on le sentait dès la première minute. Elle nous ouvrait ses bras avec affection et enthousiasme. J’ai donc vite pris mes habitudes à chaque parution, venant passer quelques jours dans la maison qu’elle prêtait facilement à Bruxelles. J’y ai fait plein de rencontres. C’est Eliane qui eut l’idée, par exemple, de me présenter Didier Tarquin, et de nous faire signer côte à côte, se riant de la guerre que tout le monde voulait voir à l’époque entre Delcourt et Soleil. Ce même Didier Tarquin qui allait me convaincre, avec Christophe Bec, de signer chez Soleil pour y trouver la liberté créative qui m’a permis de réaliser Universal War.

Je raconte cette histoire, car c’est là tout Eliane pour moi : la porte toujours ouverte, toujours partante pour aller boire un coup ou manger un morceau, mais surtout rassemblant autour d’elles des gens qu’on n’imaginait pas ensemble. Grâce à elle, les librairies Forbidden ont été des lieux de vie et de rencontre formidables, et nous y avons toujours eu plaisir, Valérie et moi, à y retourner, parce qu’Eliane pouvait dénicher un livre que personne d’autre ne pouvait nous trouver, parce qu’elle organisait un événement auquel on ne pouvait pas dire non, mais, aussi, et surtout à l’improviste, juste pour prendre des nouvelles de nos amis.

Lorsqu’Eliane et Cédric ont quitté leur librairie, nous nous sommes dit que la BD y avait perdu un petit peu d’âme. Ce matin, en apprenant le décès d’Eliane, c’est tout une époque que nous voyons disparaître. Tu vas nous manquer, Eliane, même si nous ne nous voyions plus du tout assez ces dernières années, se croisant juste pendant le festival d’Angoulême. On t’embrasse très fort, et on embrasse très fort Cédric et tes deux fils. On aura eu beaucoup de chance de te croiser.

 

Adobe, ou le piratage par intermédiaires

Quand Adobe avait présenté Firefly, son “intelligence artificielle” génératrice d’images, c’était avec la promesse qu’elle avait été entrainée seulement avec des images libres de droit. Chez pas mal d’artistes, il y avait eu un vrai soulagement en voyant une grosse société admettre enfin que le pillage de nos œuvres par les IA ne pouvait pas continuer. Mais on ne se faisait pas trop d’illusions, car, dans le fond, ça ne changeait rien à tous les autres problèmes, comme la concurrence déloyale entre hommes et machines ou l’appauvrissement programmé de la création et de la culture…

On découvre aujourd’hui qu’Adobe Firefly a aussi été formé à partir d’images générées par d’autres IA comme Midjourney. Ces mêmes IA qui, elles, ne se sont pas gênées pour piller sur Internet nos images protégées par le droit d’auteur. Bref, Firefly a pillé notre travail d’artistes, mais par le truchement d’intermédiaires… On se demande qui est le plus malhonnête finalement.

Je paye 500 euros par an d’abonnement à Adobe pour accéder à Photoshop, inDesign, Acrobat ou Première… Que dirait cette boîte si je décidais d’avoir la même négligence envers sa propriété intellectuelle, et que j’installais des versions piratées de tous ses logiciels, en me défendant de toute malversation puisqu’on les trouve facilement Internet et que ce sont d’autres qui ont fait le piratage initial ?

PS : Dire que mon dernier énervement contre Adobe à moins de deux ans : Vais-je me séparer d’Adobe après 30 ans de vie commune ?

 

 

Photonik revient (et il a besoin de vous)

Vous étiez fans du super-héros français Photonik ? Aujourd’hui, il s’apprête à revivre pour une nouvelle saga sous le crayon de Paul Renaud !

Dans les années 80, alors que j’étais ado, j’étais accro aux revues Lug qui traduisaient les comics de super-héros Marvel en France. Il y avait dans leurs pages, entre autres merveilles, la série Photonik, dont j’adorais particulièrement le dessin, toute en élégance. Quelle ne fut pas ma surprise à l’époque quand mon copain de comics, Jean-Marc Lainé, m’expliqua que Photonik était une création 100% française. Et que ce n’était pas un vétéran de la BD qui réussissait à égaler les Américains, mais un jeune scénariste-dessinateur lyonnais nommé Ciro Tota.

Une décennie plus tard, je rencontrais Ciro chez Delcourt. Il dessinait à l’époque la série Aquablue – Étoile blanche avec Thierry Cailleteau au scénario, ce même Thierry avec qui j’avais failli faire la suite d’Aquablue et pour qui je dessinais Cryozone, une histoire de zombies dans l’espace. Je découvrais avec Ciro, au-delà de l’artiste que j’admirais, une des personnes les plus gentilles que j’ai pu croiser dans ma vie. Il était tellement sympa qu’il proposa au jeune débutant que j’étais un échange de planches. J’ai donc la chance d’avoir à la maison une des pages de l’ultime saga de Photonik, Les Enfants de l’Apocalypse, publiée en 1986 dans les numéros 80 à 83 de Spidey. C’est un des originaux qui fascinent le plus nos visiteurs, parce qu’il est très beau, très fin, mais aussi parce que toute cette finesse est réalisée à l’échelle 1, au format de publication (un grand demi A4) !

Planche dessinée au format de parution, 17 x 25 cm

Le temps a passé. Photonik a continué d’hanter ma génération. C’est par exemple à lui que les amis Stéphane Perger et Luc Brunschwig ont rendu un vibrant hommage dans leur série Luminary parue à partir de 2019 chez Glénat. J’avais moi-même dessiné un Photonik pour la réédition de la série originale en noir et blanc chez Black & White en 2013 . Enfin, dix ans plus tard, allaient paraître chez le même éditeur All Star PHOTONIK, des comics hommages proposés par Paul Renaud, Pierre Alary et Franck Biancarelli.

 

Mon hommage de 2013

Dans son comics de 16 pages, le Toulousain Paul Renaud a décidé de raconter la suite directe de la mythique saga Les Enfants de l’Apocalypse de 1986 dont je parlais ci-dessus. Cet hommage de la part de l’ami Paul m’a paru évident dès qu’il m’en a parlé. Déjà, Paul est aussi adorable que Ciro Tota, ce qui n’est pas peu dire. Mais surtout, Paul est un des plus dignes descendants du travail de Ciro sur Photonik. Il partage la même élégance, la même classe, la même capacité à la retenue et à la force en même temps. Rien de cela n’est une découverte, Paul nous le montrait depuis des années dans ses nombreuses pages et couvertures pour les USA. Car, si Ciro Tota était le Français égaré (avec Jean-Yves Mitton) dans les revues qui traduisaient Marvel en France, Paul Renaud fait, lui, partie des rares Français qui ont été publiés directement et continuellement par les Américains, en particulier par Marvel.

Ce comics All Star PHOTONIK : Les Soldats de l’Apocalypse, paru chez Black & White, en juin 2023, était une vraie réussite. On était cependant nombreux à avoir un gros regret : que ce soit un one-shot, et non le début de nouvelles aventures. Heureusement, Paul a eu le même sentiment que ses lecteurs. Aujourd’hui, les éditions Black & White annoncent donc une excellente nouvelle : le lancement d’un financement participatif pour que Paul s’attelle à une saga de 150 pages !

A la manière de Marvel et DC nous vous proposons de débaucher un auteur phare de Marvel : Paul RENAUD afin qu’il se consacre à la suite officielle de la série culte PHOTONIK. C’est une super production ambitieuse avec de nouveaux personnages mais également le retour de vieilles connaissances, l’histoire se situe 5 ans après les événements des Enfants de l’Apocalypse.

Paul Renaud est un acteur majeur de l’industrie du comics, il en connait ses rouages et contraintes, c’est donc aussi un nouveau départ et un point d’entrée pour les nouveaux lecteurs.

Paul m’en avait parlé il y a des mois, mais il fallait garder le secret. Ce n’était pas si facile, car, vous l’aurez compris, je suis emballé par ce projet. Je ne peux donc que vous encourager à vous joindre au financement participatif :

 

Et si vous êtes présents cette année au Festival d’Angoulême, passez voir l’éditeur sur le stand H19 de l’espace La Place du 9e Art, à côté du marché des halles, ils vous en diront plus. Ce sera aussi l’occasion d’en apprendre plus sur la fin de la série originale de Photonik que nous prépare Ciro Tota de son côté !

 

 

 

 

 

 

Tendres tendons

La semaine dernière, je suis allé aux Utopiales Nantes avec une grosse attelle à la main de travail. Apparemment, l’info a circulé, puisque certains me demandent des nouvelles de ma santé en message privé.

Je fais donc un petit point rapide. En début de semaine dernière, en soulevant un objet très lourd dans l’atelier, j’ai ressenti une très vive douleur dans les doigts de la main droite ainsi que dans tout l’avant-bras. Aux urgences, on m’a diagnostiqué un problème de tendons et j’ai donc eu droit à une immobilisation quasi-totale de la main pendant les cinq jours passés aux Utopiales. Une fois rentré, le médecin m’a confirmé que c’était une bonne élongation. J’ai donc repris le chemin de l’attelle.

Normalement, je serai apte au service en fin de semaine prochaine. D’ici là, je bricole comme je peux sur l’ordinateur. Heureusement, j’ai le soutien de Valérie et des copains de l’Atelier virtuel. Donc, amis lecteurs, pas d’inquiétude, je reprendrai bientôt le travail sur Universal War 😊

Bomb X

Bomb X est une nouvelle série de science-fiction qui a mûrit au sein de notre atelier virtuel. Sans que je ne sache vraiment de quoi parlait le scénario de Vincent Brugeas, c’était passionnant de voir comment Ronan Toulhoat, Brice Cossu et Yoann Guillo étaient en train mixer leurs styles, le tout sous l’excellente direction artistique d’Alexis Sentenac.

Leur éditeur m’ayant proposé d’écrire une préface à l’album, j’ai tout de même demandé à lire l’album finalisé avant de donner mon accord. heureusement, je n’ai pas été déçu, bien au contraire, par la lecture !

C’est donc avec un grand plaisir que j’ai écris ces quelques mots pour le livre de mes camarades :

Qu’est-ce que la science-fiction ? Durant des décennies des aéropages d’érudits ont proposé de bonnes définitions, mais il suffisait qu’un nouveau chef-d’œuvre bouleverse le genre pour qu’il faille les réécrire. Bien sûr, on peut définir la SF par ses sujets évidents, comme les histoires sur le progrès scientifique, les voyages dans l’espace ou dans le temps voire dans des univers parallèles, les extra-terrestres, les créations technologiques les plus incroyables… Mais, défini comme cela, ce vaste univers de la SF peut passer pour de la pure fantaisie jusqu’à n’être qu’un genre d’évasion un peu creux.

Je vois, au contraire, dans la science-fiction un genre des plus sérieux. Si je devais réduire la définition de la SF au plus court, je dirais qu’elle est spéculation sociétale. Car, si on invente tous ces mondes hypothétiques, c’est en fait pour observer différemment nos organisations humaines et nos comportements actuels. Si on amplifie certains phénomènes ou questions à l’extrême, c’est pour les voir fonctionner plus clairement, mieux en comprendre tenants et aboutissants et mieux identifier avantages et risques.

Bomb X correspond, bien sûr, à la définition classique de la science-fiction d’évasion. Sans rien vous dévoiler, on y retrouve beaucoup des grands thèmes que j’évoquais au début. Si vous avez feuilleté l’album, vous l’avez déjà constaté, les dessinateurs et le coloriste ont réalisé de sublimes images de SF. Et quelle mise en scène, quelle vie dans les personnages ! Bref, côté évasion, le lecteur est choyé.

Mais Bomb X est aussi de la science-fiction telle que j’aime à la définir. En effet, la micro-société que les auteurs nous décrivent est le résultat du télescopage d’humains venus d’horizons très différents. Il ressort inévitablement de cette expérience, voire de cette confrontation, des questions fortes, en particulier pour les Occidentaux de ce début de millénaire que nous sommes.

Je suis évidemment curieux maintenant d’en savoir plus sur ce monde énigmatique. Mais, je suis aussi curieux de continuer l’aventure avec tous ces personnages, de vivre avec eux cette expérience d’humanité inédite. Ne l’oublions jamais, la fiction a parfois plus à nous apprendre sur nous-mêmes que la réalité.

Denis Bajram

Pour avoir un aperçu de l’album :

Il faut lire Fabrice Neaud

La Bande Dessinée, je vous en ai déjà parlé, nourrit en général bien mal ses créateurs et créatrices. Mes débuts furent donc très difficiles économiquement, je dus quitter Paris pour une ville de province aux loyers bien moins chers. Il s’avère que cette ville abritait un collectif de bande dessinée ambitieux nommé Ego comme X.

Quand je vivais encore à Paris, je lisais avec beaucoup d’intérêt la revue Ego comme X. Et j’étais particulièrement intéressé par les pages d’un certain Fabrice Neaud. Comme les autres auteurs de la revue, il explorait l’autobiographie, une voie bien nouvelle à l’époque en BD. Mais, au lieu d’adopter un dessin-écriture rapide comme celui des auteurs qu’on allait regrouper sous l’étiquette de « nouvelle Bande Dessinée », il était parti dans une direction très différente, nourrit de tradition classique du dessin, mais aussi de comics et de manga. Il avait donc un dessin réaliste très solide qu’il mariait avec une recherche formelle sur la composition et la narration dont je me sentais assez proche.

C’est donc à l’occasion de ce déménagement en province que je rencontrais enfin Fabrice. C’était un garçon truculent, à la conversation volubile. Très vite, nous nous découvrîmes des passions communes : la musique classique, la science-fiction, la philosophie, les arts et les lettres, les comics de super héros… Ce fut le début d’une profonde amitié, de celles très rares, qui emplissent une vie.

En 1996, Fabrice sortit le premier tome de son Journal chez Ego comme X. Un livre si fort qu’il obtint l’Alph-Art du meilleur premier album au festival d’Angoulême suivant. Même si une partie de la critique n’y avait vu que l’autobiographie d’un homosexuel de province, j’y avais surtout vu, moi, une sacrée promesse : on ne croise pas tous les jours une telle qualité formelle sur un premier livre.

Cette promesse fut plus que confirmée par les tomes suivants. Elle le fut sur le fond déjà. Fabrice nous proposait une implacable dissection de sa propre vie, de ses sentiments, du petit monde autour de lui et du contexte social de cette fin des années 90. Fabrice faisait preuve d’une intelligence, d’une lucidité et d’une honnêteté rares, de celles qui changent votre propre manière de regarder le monde.

Mais n‘oublions surtout pas la forme sans laquelle ce fond n’aurait pu être qu’une petite musique sans ambition. Bien au contraire, Fabrice avait usé dans ces nouveaux tomes du Journal non seulement d’un dessin encore plus beau, mais il proposait surtout un vocabulaire d’images, de compositions, de narration extrêmement riche et complexe, à la grammaire aussi inventive que maitrisée. C’était une véritable leçon de Bande Dessinée.

 

Après la fin malheureuse d’Ego comme X (l’économie de la BD est plus que précaire, encore une fois), le Journal de Fabrice Neaud a finalement été réédité chez Delcourt. Mais c’est aujourd’hui seulement que parait, après un bien trop long silence autobiographique, Le Dernier Sergent, dont les événements suivent directement ceux du Journal.

Ce n’est pas sans une certaine inquiétude que je me suis lancé dans la lecture ce Dernier Sergent. J’ai tellement admiré le Journal de Fabrice que je craignais d’être éventuellement déçu. Non pas que je pensais que le livre pouvait être mauvais, ayant déjà vu et lu de nombreuses planches et scènes lors de nos visites chez lui avec Valérie. Cette vision parcellaire m’avait totalement convaincu de l’importance de ce nouvel opus. Mais, nous, lecteurs, sommes ainsi faits, quand nous avons connu une forte émotion avec une œuvre, nous pouvons en garder un souvenir surdimensionné, et nous retrouver bêtement déçus par une nouveauté pourtant remarquable.

Heureusement, j’avais tort d’avoir peur. Si j’écris ce texte, c’est même que je suis à nouveau totalement bouleversé par le travail de Fabrice, comme au premier jour. Je pense même que son silence, forcé, en matière autobiographique a permis à Fabrice d’atteindre une maturité artistique exceptionnelle. Le résultat est tellement fort que je n’oserai pas en parler plus longuement sans l’avoir relu. Tout ceci, vous pourrez le pré-sentir au feuilletage tant les dessins, les pages, les compositions explosent déjà au visage. Ce sont des heures exceptionnelles avec un très grand auteur qui vous attendent.

Alors, si vous ne connaissez pas Journal, n’attendez plus pour le lire. Autrement plongez-vous dans Le Dernier Sergent dès maintenant. Passée la déferlante de sentiments que provoquera cette lecture, vous aurez sans doute, comme-moi, envie de relire toute l’œuvre autobiographique de Fabrice, le temps de patienter jusqu’au prochain opus.

Oui, il faut vraiment lire et relire Fabrice Neaud