Le Blog

Métal brûlant

Cela fait bizarre de se réveiller avec un de ses dessins reproduit dans le presse du monde entier. Il faut dire que cette image accompagne une publication scientifique dans la prestigieuse revue Nature, ce qui explique cette importante diffusion.

C’est ma seconde collaboration avec l’observatoire de l’Université de Genève. Après une première illustration consacrée à l’exoplanète GJ436, c’est à une autre, Kelt-9b, que l’astrophysicien David Ehrenreich m’a proposé de m’attaquer. Avec une vraie difficulté, représenter une géante gazeuse tellement proche de son soleil que son atmosphère contient du fer et du titane gazéifiés par la chaleur intense (4000°).

L’idée était de faire encore une fois une image de science-fiction. Nous avons eu de nombreux échanges, entre autres pour représenter le plus justement possible les couleurs de l’étoile et de l’atmosphère de la planète. Nous sommes tombés d’accord pour montrer des vaisseaux récoltant du métal au moment où il se condense en brume liquide, à la limite entre les faces sombre et éclairée et de la planète.

Mais la science-fiction comme outil pédagogique et machine à faire rêver le grand public a toujours du mal à être légitime en science, même quand il s’agit de vulgarisation. C’est la version sans les vaisseaux qui a finalement été diffusée en presse.

Je milite depuis des années pour qu’on utilise le “merveilleux scientifique” pour intéresser beaucoup plus le grand public aux sciences. J’ai donc évidemment un petit regret. L’erreur a sans doute été de laisser le choix aux médias.

Avec un grand merci à David Ehrenreich, ce fut encore une fois passionnant !

Quelques liens parmi les centaines d’articles publiés sur cette découverte :


Mise à jour

Le Huffington Post m’a demandé s’il pouvait publier cette note de blog. J’ai évidemment dit oui. Voilà qui renoue avec de bons souvenirs, lorsque j’avais été rédacteur-en-chef du futur pour leur site.

Manifestons-nous !

La démocratie est un bien commun fragile. Il faut des longues années de luttes, et souvent de nombreuses victimes, pour obtenir des droits qui semblent pourtant relever de la plus grande banalité quelques décennies après. Hélas, il faut beaucoup moins de temps pour perdre ces droits.

Le pouvoir, quel qu’il soit, aime le pouvoir. Il a toujours tendance à vouloir le conserver voire à l’accroitre. Plus il est faible, plus il est incompétent, plus il devient paranoïaque, plus il ne lui reste que l’usage du pouvoir pour prouver qu’il a le pouvoir. Une des plus vieilles méthodes du pouvoir pour détourner le regard de ses buts réels, de ses turpitudes ou de son incompétence est de designer des boucs émissaires. Il est très facile, hélas, d’instrumentaliser la peur d’un ennemi extérieur ou intérieur, réel ou supposé. Plus la menace est forte, qu’elle soit vraie ou non, plus un pouvoir obtient de suspendre l’état de droit, plus il peut renforcer son propre pouvoir.

Il y un an, une enquête d’Amnesty dénonçait les atteintes au droit de manifester en France sous le précédent gouvernement. Aujourd’hui on découvre que des sbires employés à l’Élysée et dans le parti du nouveau président, portant brassards et insignes de police en toute illégalité, se permettaient de jouer au petit milicien pendant la manifestation du 1er mai sans qu’un seul policier autour d’eux ne pense à les en empêcher.

Le droit de manifester est déjà sévèrement contrôlé par la loi en France. Aujourd’hui, comme le montrait l’enquête d’Amnesty, il est réprimé dans les faits. En instrumentalisant les lois anti-terroristes. En utilisant le moindre prétexte pour avoir un recours excessif à l’usage de la force. En s’en prenant aux journalistes qui auraient la mauvaise idée de vouloir rapporter ses violences. Ces débordements sont tellement entrés dans les mœurs du pouvoir que maintenant il lui semble presque normal que ses petits copains aillent se défouler sur les manifestants.

La démocratie est un bien commun fragile. J’ai déjà plusieurs fois écrit contre l’état d’urgence permanent, maintenant, hélas, inscrit dans nos lois. Si, par dessus, nos gouvernements successifs arrivent dans les faits à réduire le droit de manifester, il ne faut pas douter qu’ils s’en prendront ensuite au droit de grève, à l’indépendance de la justice, à la liberté d’expression, s’ils n’ont pas déjà commencé…

La démocratie est un bien commun fragile. Il va falloir maintenant que, nous, démocrates, nous défendions le droit de manifester. Il va falloir que nous allions manifester systématiquement pour le simple fait de renforcer ce droit à manifester. Il va falloir que nous documentions systématiquement les violences. Il va falloir que nous portions systématiquement plainte. Manifestons-nous !

Album ou livre ? BD ou roman graphique ?

 

Un môssieur, tout fier d’avoir écrit un roman, a tenté de défendre sur le mur Facebook d’un ami que les bandes dessinées étaient des “albums” et pas du tout des “livres”. On a beau lui avoir opposé arguments et figures d’autorité, rien n’y a fait. Les BD portent un ISBN (International Serial Book Number) comme tout livre vendu en librairie ? Le Centre National du Livre soutient les BD, parce que ce sont des livres comme les autres ? Non, non, non, il n’en démordait pas, les BD ne peuvent pas être des livres. Heureusement que le ridicule ne tue pas, les réseaux sociaux ressembleraient au Père Lachaise.

Plus intéressant est de voir les confusions de vocabulaire apparues à cette occasion. À commencer par ce mot d’album.

L’album, c’est ce qui permet de rassembler, de collectionner, de compiler des petites choses, des morceaux choisis. Album de timbres, album musical 33 tours etc. (Éthymologie : http://www.cnrtl.fr/etymologie/album/substantif)

Dans le cas de l’album de BD, le terme s’est imposé parce que c’était un livre qui rassemblait les pages ou les épisodes parus initialement dans un journal. Ce terme est donc intimement lié à la prépublication en presse.

C’est les auteurs et éditeurs “indépendants” des années 90 qui ont popularisé le remplacement du terme “album” par celui de “livre”. La quête d’une reconnaissance culturelle pour la Bande Dessinée en était le moteur, mais les plus cultivés d’entre eux avaient bien conscience d’avoir rompu avec la presse jeunesse, et affirmaient donc à juste titre ne plus faire d’album de BD. Le mot livre l’a finalement très largement emporté dans la profession et la crispation s’est déplacée dans l’opposition des formats “48CC” (48 pages cartonné couleur, l’ex “album”) et “roman graphique” (l’ex “livre”).

On a assisté aux mêmes crispations sur le terme “BD” (et son cousin dégénéré “bédé”) qui après avoir remplacé “bandes dessinées” (qui lui même avait remplacé “illustrés”), est devenu ringard pour les indés. BD renvoyait à une production considérée comme trop commerciale et/ou populaire. Des néologismes comme “narration graphique” ont finalement cédé la place à un retour à “Bande Dessinée”, mais au singulier et avec les majuscules d’un Art majeur.

Il y a eu aussi un amusant turn-over de vocabulaire pour désigner la bande dessinée qui se veut non-commerciale. De “alternative”, “fanzine”, “graphzine” dans les années 80, elle est devenue “indépendante” voire “indé” dans les années 90, puis le néologisme journalistique “nouvelle BD” a un temps remplacé le tout dans les années 2000, avant que l’expression “roman graphique” ne finisse par l’emporter. Ce “roman graphique” est devenu un mot valise désignant à la fois un format, le livre épais, un genre, mais tellement ouvert que nul ne saurait le définir, bref tout ce qui n’est pas supposé “commercial” où “mainstream”… même si certains romans graphiques sont depuis longtemps des best-sellers.

Aujourd’hui, “BD”, “bédé” et même “Bande Dessinée” semblent toujours imprononçables sans mépris par beaucoup trop de commentateurs. En général, ce sont les mêmes qui auront un usage aussi flou que ridicule du mot “roman graphique”. On retrouve là l’opposition snobarde du môssieur cité en début de texte, qui refusait à la Bande Dessinée le mot de “livre”, elle n’était que des “albums”.

J’avoue être passé par ces revendications et cette quête de reconnaissance culturelle. J’ai cherché dans les années 90, avec d’autres, le terme idéal. J’avais proposé “illustration séquentielle”. Illustration, car chaque “case” est en effet une image illustrant un sens, y compris par sa part textuelle. Séquentielle parce que c’est l’enchaînement de ces Illustrations qui fait la Bande Dessinée. Bon, “illustration séquentielle” est encore plus long que “bande dessinée” et se battre pour ne remplacer à la fin “BD” que par “I.S.” n’était pas des plus motivants.

Aujourd’hui, je parle de “livres” pour mes albums, je mets des majuscules à Bande Dessinée dès que c’est de notre 9e Art que je parle. Mais, ces derniers temps, j’ai une vraie envie de redire “BD”, d’assumer les origines crottées, populaires et grand public de la narration graphique. Nous avons obtenu une partie de la reconnaissance culturelle que nous réclamions pour la Bande Dessinée dans les années 90, mais à l’arrivée, cela se paye d’une gentrification, d’un embourgeoisement de notre public, alors que les auteurs, eux, s’ils sont de plus en plus formés et cultivés, s’appauvrissent. C’est un vaste sujet sur lequel il faudra que je revienne plus sérieusement.

 

Illustration : La Librairie Payot à Genève – Photo originale d’ActuaLitté.

Orgue héroïque

Valérie et moi nous sommes rappelés au dernier moment qu’il y avait un concert d’orgue hier à la cathédrale. Grand moment, qu’il aurait été bien dommage de manquer ! Olivier Penin, le titulaire du Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde à Paris était venu jouer celui de notre ville de Bayeux. Au programme Mendelssohn, Debussy et Franck. Une interprétation organique, symphonique, avec une mention spéciale au très beau travail de registration. Olivier Penin a extrait des merveilles sonores de notre instrument !

Pour vous donner une idée, le voici interprétant la Pièce héroïque de César Franck sur son Cavaillé-Coll de Sainte-Clotilde :

Avec un grand merci aux Amis de la cathédrale de Bayeux pour nous avoir offert ce petit moment de paradis.


Mise à jour

Juste après avoir posté sur les réseaux sociaux cette Pièce héroïque de César Franck, Je découvre que la superbe partition de Basil Poledouris pour le film Conan de John Milius a été transposée pour orgue !

C’est un jeune organiste allemand, Philipp Maximilian Pelster, qui a eu cette excellente idée et qui l’interprète pour un CD publié en 2015 par Naxos.

L’instrument qu’on entend ici est une création conjointe du facteur allemand Glatter-Götz et du facteur américain Rosales pour la Claremont United Church of Christ, en Californie :

Je rappelle à qui ne le saurait pas que Naxos est un éditeur de musique classique à petit prix. Donc si ce disque vous plait, vous pourrez vous le procurer pour environ 7 euros.

Et merci à François Baranger pour cette découverte !

Universal War One en réalité virtuelle

Voici un aperçu de ce que vous pourrez expérimenter jusqu’au 14 octobre 2018 à La Chapelle Saint-Louis de Poitiers, puis pendant cinq jours aux Utopiales de Nantes. Au sein d’un des modules tout en métal de l’exposition, deux casques de réalité virtuelle permettent une immersion sonore et visuelle en relief et à 360°. On croirait vraiment être à bord d’un des vaisseaux d’Universal War One. Magique !

La gratuité se paye toujours

Un site que je lis souvent a été contacté par l’AFP qui lui réclame 300€ pour avoir utilisé une photo d’un auteur japonais sans en avoir le droit ni les droits. C’est un site de passionnés, tous bénévoles, bref qui ne génère pas de cash. Son fondateur a bien dû payer, et se pose la question de ne plus jamais publier que des images libres de droits. Ce qui limite évidemment beaucoup sa capacité à illustrer les articles.

L’ambiance est en train de se durcir côté ayant-droits. Pourquoi ? Le principe de base est simple : les artistes-auteurs doivent pouvoir vivre de leur travail. Et aujourd’hui ça devient extrêmement difficile, en partie parce que tout le monde se permet de publier leur travail gratuitement. Et certains journaux ou grands médias rechignent de plus en plus à remplir leur obligations (Canal + a arrêté de payer les droits d’auteurs depuis des mois, allant au bras de fer avec les sociétés d’auteurs)

Précisons que publier une image d’un créateur, même sans en faire le commerce, n’est pas du tout neutre : cela va lentement et sûrement la banaliser, lui ôter sa rareté, ce qui fera que livres, journaux ou documentaires ne l’achèteront plus.

Les géants du web, les GAFA, Facebook en tête, nous ont habitués à publier tout et n’importe quoi sans se poser la question de savoir à qui ça appartient. C’est une importation du fair use américain qui permet en effet d’utiliser dans certaines conditions les textes ou images des autres. Ce qu’il ne faut jamais oublier, c’est que cette gratuité des contenus permet d’alimenter ces plateformes qui elles, gagnent beaucoup d’argent sur le dos du travail des autres. Elles font de l’argent sur votre dos ou le mien quand nous faisons un statut, et sur le dos des artistes quand vous ou moi postons leurs images. Ces plateformes arrivent pour l’instant à ne pas payer les artistes-auteurs comme elles arrivent à ne pas avoir à payer les impôts qu’elles devraient à nos pays. Les milliards que valent les GAFA sont clairement sortis de nos poches à tous. Ce sont des hôpitaux et des crèches que nous n’avons pas construits, des emplois que nos pays n’ont pas créés. Participer de cette culture de la gratuité en niant le travail des autres, c’est bien avoir cette attitude de prédateur. C’est participer à construire un monde dans lequel, rapidement, vous ne serez plus payés non plus. Ou mal payés, juste assez pour que vous ne fassiez pas la révolution et continuez à nourrir les vrais gagnants de la “gratuité”.

Voilà, ce n’est vraiment pas simple. Mais il est important de se rappeler que quand on ne veut pas payer le travail des autres, c’est probablement soi-même qu’on appauvrit à terme.


Mise à jour

Cette note a fait parler ! Il va sans doute falloir que pour la Bande Dessinée, les organisations d’auteurs, d’éditeurs et de critiques se mettent autour de la table pour écrire un code des bons usages permettant de définir ce qui est et ce qui n’est pas une “citation” légitime. Qu’on mette au point des règles simples qui éviteraient l’actuelle incertitude juridique. Je vais en discuter avec les uns et les autres pour voir si ça aurait du sens pour eux.

 

Universal War One en réalité virtuelle à Poitiers

L’année dernière se tenait à Poitiers l’exposition C’est arrivé demain consacrée à la Bande Dessinée de science-fiction, pour laquelle j’avais prêté des originaux. Cet été, une étonnante suite lui est donnée, puisque c’est une exposition de bande dessinée… sans bande dessinée !

Le lieu et la scénographie valent déjà le détour. Au milieu d’une magnifique chapelle jésuite du XVIIe siècle semble s’être posé un vaisseau spatial en métal.

Ce parcours contient quatre modules consacrés à quatre livres de quatre auteurs. Dans l’ordre, Marion Montaigne pour son Dans la combi de Thomas Pesquet, Mathieu Bablet pour son Shangri-La, votre serviteur pour Universal War One et Beb Deum pour Mondiale™. Entre ces modules, des créations sonores, lumineuses et vidéo.

C’est une expérience particulière, aux antipodes de ce qu’on voit habituellement dans nos festivals BD, un parcours entre science-fiction, Bande Dessinée et Art contemporain.

 

Le module consacré à Universal War One est quasiment vide. Deux casques de réalité virtuelle vous y attendent. Une fois posé sur la tête, on se retrouve en immersion, relief et 360°, dans le cockpit d’un de mes vaisseaux trihédrons. Et là ça devient totalement grandiose, puisqu’en un peu plus de trois minutes, on revit les scènes principales du tome 1 d’UW1 : navigation dans la gigantesque flotte spatiale, explosion des anneaux de Saturne, arrivée sur le Mur…

Un grand merci au Studio Nyx pour ce remarquable travail. J’étais au bord des larmes de me retrouver ainsi immergé dans mon univers ! Je ne peux que recommander à tous les fans d’UW1 d’aller y faire un tour.

Je tiens tout particulièrement à remercier le commissaire de l’exposition, Jean-Luc Dorchies, ainsi que toutes ses équipes, pour avoir donné corps à cette exposition originale. Je passe mon temps à dire que la Bande Dessinée doit sortir de son petit intra-muros… et bien là c’est carrément la grande évasion ! Enfin, ce qui ne gâche rien, cette démarche aussi originale que sérieusement menée s’est accompagnée d’une vraie rencontre humaine. Merci pour ces bons souvenirs !

Pour conclure, une petite visite rapide de l’exposition, filmée comme j’ai pu au smartphone :

Information pratiques

C’est arrivé demain, le retour. BD, SF et nouvelles images.
Une exposition du Miroir de Poitiers, présentée à la Chapelle Saint-Louis à Poitiers

Du 7 juillet au 14 octobre 2018, puis itinérante jusqu’en 2020

Juillet
du lundi au vendredi : 12h – 19h, le samedi : 14h – 22h, le dimanche : 14h – 18h-

Août
du lundi au vendredi : 14h – 18h, le samedi : 14h – 22h, le dimanche : 14h – 18h-

Septembre & octobre
du mardi au samedi : 14h – 18h
Sauf le Week-end des journées du Patrimoine
Samedi 15 septembre : 14h-22h et dimanche 16 sept : 14h-18h

Entrée libre.

Visites commentées en juillet : tous les mardis et jeudis à 18h sur réservation. Jauge limitée, durée 45 min.

 

Le jour où la France s’arrêta

Connaissez-vous la prospective ? Elle consiste non pas à prévoir précisément l’avenir, mais à réfléchir à des futurs possibles pour notre société. Elle est censée aider à prévoir les risques et à prendre des décisions stratégiques. Depuis des décennies, je pratique cet exercice de pensée en tant qu’auteur de science-fiction, mais aussi en tant que professionnel du livre qui pense l’avenir de l’édition.

Hier et aujourd’hui

Je me souviens qu’au début des années 2000, j’avais tenté d’alerter mes collègues auteurs, mais aussi les éditeurs que je connaissais, d’un gros risque de surproduction de livres. Chaque année, de plus en plus de titres paraissaient, de nouveaux éditeurs se lançaient dans l’aventure, de plus en plus d’auteurs pouvaient publier. Il paraissait évident que ce formidable dynamisme créatif et éditorial allait finir par saturer les librairies. Il paraissait tout aussi évident que la plupart des auteurs allaient voir leur part du gâteau se réduire avec tous ces confrères en plus : le gâteau, c’est-à-dire le porte-monnaie des lecteurs, n’est pas extensible à l’infini… Je me souviens que j’avais pourtant récolté, au mieux, de l’indifférence, mais le plus souvent des réactions assez goguenardes. On était en pleine euphorie dans la bande dessinée, et dans pas mal d’autres secteurs éditoriaux…

Le temps m’a hélas donné raison. Le chiffre d’affaires de l’édition oscille depuis 30 ans entre 2,4 et 2,8 milliards (en euros constants). Quant au nombre de nouveautés publiées, il a doublé, en gros, tous les 20 ans pour atteindre les 80 000 titres aujourd’hui. En bande dessinée, le nombre de titres a plus que quadruplé depuis l’an 2000, passant de 1 100 à plus de 5 000 aujourd’hui.

Cette croissance des titres s’est accompagnée, comme prévu, d’une paupérisation croissante des auteurs. Elle a, en échange, permis à plus d’auteurs de publier des travaux très variés. En bande dessinée, nous avons connu un véritable âge d’or créatif. Mais même cette explosion créative a atteint ses limites : la dégradation des conditions de vie de la très grande majorité des auteurs ne peut pas ne pas rester sans conséquence sur la qualité de leurs œuvres. Les auteurs acceptent de plus en plus de compromis créatifs, des commandes d’éditeurs inadaptées, ils acceptent de plus en plus souvent de faire des livres qui ne leur ressemblent pas. Beaucoup se perdent dans des petits boulots en parallèles, qui les éloignent de leur travail créatif. Et, avouons-le, beaucoup trop se retrouvent à devoir bâcler de plus en plus. Pourquoi ? Tout simplement pour produire plus, vu que chaque titre rapporte de moins en moins. Tout ça pour tenter de maintenir leur petit bateau juste au-dessus de la ligne de flottaison.

Et c’est précisément ce moment que choisit l’État pour charger la barque des auteurs. Au risque de la faire couler brusquement. Il faut dire qu’à la fin des années 70 ce même État leur avait fait un beau cadeau en créant l’AGESSA, un régime de sécurité sociale adapté à leurs difficultés. L’idée était simple : des prélèvements sociaux seraient perçus sur tous les droits d’auteurs pour que les créateurs qui n’avaient pas une sécurité sociale puissent s’affilier. Car la grande majorité des auteurs ont en fait déjà un travail, vu qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas vivre de leurs seuls droits. Aujourd’hui, sur 55 000 auteurs de livres qui cotisent, seuls 2 500 sont réellement affiliés à l’AGESSA. Beaucoup ont sans doute une profession en parallèle. Mais beaucoup d’autres n’ont en fait pas du tout de sécurité sociale : pour être affiliés, leurs revenus d’auteur doivent dépasser un seuil assez modeste, en gros la moitié d’un SMIC brut annuel. Hélas, trop d’auteurs, pourtant à plein temps, n’arrivent plus à gagner cette faible somme aujourd’hui.

En 2014, déjà, une très importante hausse de la retraite complémentaire des auteurs, le RAAP, avait fait tanguer leur barque, et en avait noyé quelques-uns. C’est à ce moment que Benoit Peeters, Valérie Mangin et moi avions créé les États Généraux de la Bande Dessinée en parallèle à la mobilisation du SNAC BD. Nous avions lancé une grande enquête à laquelle près de 1500 auteurs avaient répondu. Elle avait révélé une situation encore plus détériorée que nous l’avions craint. Et une tendance très nette à la baisse des revenus.

Mais cette explosion des cotisations de retraite complémentaire n’était que le début. En 2017, nous découvrions que la hausse de la CSG n’était pas compensée pour les auteurs et artistes comme elle devait l’être pour tous les actifs de ce pays. Après des mois de luttes, nous avons obtenu une promesse de compensation, mais ses modalités techniques ne sont toujours pas définies… À croire qu’il n’y a aucune urgence à éviter une perte de presque 1 % de revenu à une population déjà très précaire…

Pour 2019, le pire reste à venir. Quid du prélèvement à la source ? Les auteurs ont des revenus très aléatoires, assez imprévisibles, et parfois versés une seule fois par an. Ils auraient besoin d’un système spécifique pour que le payement de l’impôt ne grève pas leur trésorerie déjà souvent en grande difficulté. Enfin, en 2019, c’est aussi les régimes spécifiques de sécurité sociale des auteurs et des artistes que l’État démantèle, en transférant le plus gros de l’activité à l’URSAFF.

Le plus effrayant est que l’État impose sa feuille de route comme si les auteurs n’étaient pas déjà en grande difficulté. Les organisations d’auteurs et d’artistes qui réclamaient une concertation sur le dossier de la sécurité sociale depuis 5 ans ont découvert un projet déjà tout ficelé. Il faut réaliser que les métiers d’auteurs et d’artistes sont multiples, spécialisés et chacun très particulier. Les équilibres sont, déjà à la base, extrêmement précaires. Avec une évidente méconnaissance des spécificités de nos métiers, les pouvoirs publics réforment à la hache sur des bateaux qui prennent déjà trop souvent l’eau…

Toutes les organisations d’auteurs ont donc convoqué des États Généraux du Livre. Ils ont convié le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de la Culture et celle des Affaires Sociales à venir expliquer pourquoi ils refusent toute concertation aux auteurs sur des reformes qui les concernent au premier chef, et sur lesquelles seuls les auteurs et artistes ont une expertise évidente. Le gouvernement a préféré répondre par la politique de la chaise vide.

La pression médiatique et celle sur les réseaux sociaux ont tout de même abouti à une mission interministérielle. Mais il est très tard, tout semble avoir été décidé, et janvier 2019 est dans six petits mois… Il paraît très difficile de faire comprendre à l’État qu’il faut tout suspendre pour prendre le temps de construire une bonne réforme.

Demain, si ce n’est aujourd’hui

Revenons à la prospective. Projetons-nous dans l’avenir. Suivons le chemin sur lequel nous sommes engagés. Écrivons un des scénarios probables en partant du fait que l’État impose donc des réformes inadaptées aux auteurs et aux artistes.

Parmi tous ceux pour qui la hausse de la retraite complémentaire avait déjà été la voie d’eau de trop, beaucoup passent sous la ligne de flottaison : problèmes de trésorerie, recouvrements en augmentation… Certains arrêteront, s’ils en ont la possibilité. Ce sont en général les auteurs qui ont eu un petit succès et qui peuvent se recycler ailleurs. Il y a toujours des admirateurs pour leur confier du travail dans l’industrie culturelle du cinéma, du jeu vidéo. Ou bien ils deviennent directeurs de collection ou professeurs en école d’Art.

Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde, surtout pour ceux pour qui le métier était déjà ingrat. Tous ceux qui font ça depuis 15 ou 20 ans n’ont d’autre choix que de continuer comme ils le peuvent. Ils s’accrochent à leur petit bateau devenu radeau. Ils travaillent encore plus, cassent encore plus leurs prix pour trouver des projets. C’est ça ou le chômage, à part que les auteurs n’y ont pas droit, au chômage. C’est donc ça ou le RSA.

Tirées vers le bas par l’offre, les avances sur droits continuent donc à diminuer. Les jeunes auteurs qui arrivent acceptent ces conditions de plus en plus mauvaises. Il faut dire que pour pouvoir tenir son premier livre avec son nom sur la couverture, on est souvent prêt à tous les sacrifices. Pour pouvoir continuer aussi. C’est la métaphore de la file d’attente : quand on arrive, il y a une longue file, mais on se dit que ça vaut le coup. Plus on reste dans la file, plus on se dit qu’on ne va pas quand même pas avoir fait tout ça pour rien. Même si le but semble ne pas assez se rapprocher, on continue… Pour beaucoup d’auteurs, la file d’attente sera simplement sans fin : le succès, qu’il soit critique ou commercial, ne viendra jamais couronner leur investissement. Ils se sont fait coincer par l’illusion initiale que la file d’attente ne serait pas très longue, que s’ils se donnaient à fond, ils obtiendraient bien une récompense pour tous leurs efforts à un moment ou un autre. De plus en plus se payent même des écoles d’Art privées en espérant atteindre plus vite le succès, alors que de fait ils ont investi une petite fortune dans une loterie où très peu gagneront.

Les éditeurs n’ont à ce moment aucune raison de s’opposer à ce mouvement. Eux-mêmes, pour pouvoir publier de plus en plus, ont réduit tous les coûts.

Et soudainement, à un moment, pour les jeunes qui rêvaient de devenir auteurs, cela va devenir évident que c’est une loterie quasiment ingagnable, qu’il ne faut pas aller dans cette file d’attente, que c’est trop dur et que les résultats sont devenus trop aléatoires.

Les plus « start-up nation » partiront prendre des postes dans l’industrie culturelle. L’édition y perdra sans doute les plus aptes à faire les best-sellers de demain. En plus, nul ne dit que les créateurs français, en particulier les dessinateurs, n’iront pas se réfugier dans les pays qui voudront bien leur offrir des perspectives. Les Français sont réputés pour leur créativité dans le monde entier : beaucoup préfèreront s’expatrier plutôt que de renoncer à leurs rêves. Enfin, la plupart de ceux qui resteront prendra un autre travail, et essayera de continuer à créer dans le cadre de ses loisirs, probablement sur Internet pour la plupart, et vers les plateformes de publication des géants américains. C’est ce qui se passe déjà en littérature, c’est ce qui attend les secteurs jeunesse et bande dessinée. En quelques années, on va passer d’un trop-plein de volontaires pour devenir auteurs professionnels à une pénurie.

Tous les secteurs de l’édition française qui sont aujourd’hui gavés à l’auteur pro pas cher vont devoir réapprendre à bricoler avec des créateurs peu disponibles. Il va quasiment devenir impossible de tenir des délais de parutions rapprochées pour un auteur, et de maintenir le système des séries qui a pourtant été si rentable dans la bande dessinée, par exemple, et auquel la série TV, le manga ou les auteurs young adults anglo-saxons ont habitué le public. De plus, la promotion reposant aujourd’hui déjà principalement sur les auteurs, il va aussi devenir de plus en plus en plus difficile de soutenir les lancements. Les best-sellers vont donc continuer à se faire de plus en plus rares. En plus, les maisons d’édition vont se retrouver à se battre pour les quelques auteurs qui trouveront le succès sur Internet comme elles se battent déjà aujourd’hui pour traduire les best-sellers étrangers. La rentabilité de la plupart des best-sellers en sera donc lourdement affectée.

Il est donc possible que l’édition entre à ce moment dans une crise digne de celle que les maisons de disques ont connue avec le piratage.

Il serait trop long de développer ici tous les scénarios possibles. Mais je n’en ai pas trouvé un seul qui ne soit pas au minimum pessimiste…

Après demain

Que se passera-t-il si les auteurs et l’édition française connaissent une crise majeure ? Il est à craindre qu’elle ne contamine toute l’industrie culturelle française, et même au-delà.

Il faut bien réaliser que dans le domaine des arts narratifs, le livre a un statut économique très particulier. Réaliser un film, une série TV, un jeu vidéo ou monter une pièce de théâtre, tout cela coûte la plupart du temps très cher. Le budget du moindre petit film indépendant est de 2 millions d’euros. Si on parle de plus en plus souvent en centaines de millions dans le cinéma, la série TV ou le jeu vidéo, dans l’édition, on parle modestement en dizaines de milliers d’euros. C’est normal, un livre, est réalisé par seulement quelques personnes et non par des centaines comme dans l’audiovisuel. Oui, l’économie du livre est très légère, cela explique qu’elle soit regardée avec un certain dédain parfois. Cette économie légère, voire low-cost aujourd’hui, a pourtant pour elle un énorme avantage : on peut y prendre des risques beaucoup plus facilement qu’ailleurs. On y laisse même encore souvent des auteurs faire un peu ce qui leur passe par la tête. Le livre est encore un grand lieu de liberté, d’invention et d’expérimentation. Il est devenu, de fait, le laboratoire de recherche et développement des grandes industries culturelles. Et on sait ce qui advient quand une société rogne sur la recherche et le développement : elle périclite rapidement.

Mais ce problème pourrait aller au-delà de l’audiovisuel. Les artistes sont autant menacés par les réformes que les auteurs. Quid de l’inventivité de notre industrie du luxe ? De l’automobile ? Et notre attractivité touristique ? Peut-elle survivre à un effondrement culturel du pays ? Bref, c’est toute la « french touch » économique qui vit des recherches menées à faible coût par les artistes et les auteurs. Nous sommes les premiers de cordée de toute cette réussite créative. Si nous tombons, tout le monde tombera avec nous.

Si aujourd’hui les éditeurs comme les pouvoirs publics ne comprennent pas le danger, s’ils continuent tous à agir comme si notre créativité pouvait résister à tous les coups, alors il y aura une catastrophe.

C’est déjà arrivé à d’autres pays. L’Italie était, toujours, un des pays les plus créatifs au monde dans les années 70. Fellini valait Hitchcock, le western mangeait des spaghettis, on lisait partout Moravia, Buzzati, Calvino, la bande dessinée italienne était la plus productive d‘Europe, c’est même là qu’on réalisait les aventures de Mickey et Donald. Où est passée cette Italie aujourd’hui ? Comment un si grand pays a-t-il pu être sorti aussi rapidement de la culture mondiale ?

La France n’est pas à l’abri d’un tel destin. Il faut en avoir pleinement conscience. C’est le seul moyen d’éviter un tel avenir. Je consacrerai un prochain texte à parler de ce qu’il faudrait profondément repenser pour inverser la tendance.

Évidemment, tout cela est très simplifié, c’est le principe de la prospective comme de l’anticipation de mettre le focus sur quelques éléments et de regarder comment ils se comportent dans le temps. La réalité est toujours bien plus complexe et chaotique. Mais les grandes tensions que je dessine dans ce texte sont déjà à l’œuvre. J’espère que l’avenir me donnera tort. Ne serait-ce que parce que nous aurons fait ce qu’il faut pour échapper à ce destin. Je ne voudrais surtout pas être celui qui aurait prédit le jour où la France s’arrêta.

Aria Stellae

Je viens d’illustrer la couverture du prochain roman de Jeanne A Debats, Aria Stellae, qui paraîtra en automne prochain aux Éditions Leha, dix ans après La Vieille Anglaise et le continent, le roman qui a propulsé Jeanne sous les sunlights de la science-fiction. Ce fut un grand plaisir pour moi : en plus d’être une autrice française de référence, Jeanne est surtout une amie.

Et comme j’ai pas mal échangé sur ce projet avec l’autrice et le directeur de collection, François Froideval, j’ai plein de croquis intermédiaires à vous montrer. On remarquera que le titre de travail était tout autre. Jeanne précise que c’est « parce que ce roman se passe dans l’univers d’une de mes nouvelles anciennes Fugues et fragrances aux temps de Dépotoir ».

Deux expositions à Amiens

Les amateurs de science-fiction et de mon travail peuvent se rendre dans deux expositions à Amiens.

Universal War : vision d’un futur

La première se tient à la Bibliothèque Louis Aragon et durera tout l’été. Dans un grand décor, vous découvrirez 25 originaux de Cryozone et d’Universal War, ainsi que de nombreux objets issus de mon atelier.

Avec un grand merci à toute l’équipe de la bibliothèque de s’être ainsi emparé de mon monde spatial !

 

Du 25 mai au 25 août 2018 – Horaires
Bibliothèque Louis Aragon – 50, rue de la République, Amiens
Entrée libre
Renseignements au 03 22 97 10 10

 

Les vaisseaux spatiaux dans la bande dessinée franco-belge

La seconde exposition se tient à la halle Freyssinet, juste à côté de la gare d’Amiens, et ce jusqu’à la fin du moins de juin. Un passionnant parcours historique dans la science-fiction pour lequel j’ai prêté trois originaux d’Universal War One.

Avec un grand merci à Anne-Sophie de Franceschi et à Giani Grando, les commissaires de cette belle l’exposition, pour leur sérieux, leur passion et surtout leur amitié fidèle.

 

Hélas, vous ne pourrez plus assister à l’atelier que j’ai consacré à mon travail pendant le festival lui-même :

Mais ce sera heureusement l’occasion de voir les très nombreuses autres expositions présentes dans la halle, consacrées à Zep, Mutafukaz, La Revue Dessinée, Tchô!, Zidrou, etc.

Du 2 au 30 juin 2018, les samedi et dimanche de 10h à 19h
Halle Freyssinet – rue de la Vallée, Amiens
Tarif 3 €, gratuit pour les moins de 25 ans