Le jour où la France s’arrêta

Connaissez-vous la prospective ? Elle consiste non pas à prévoir précisément l’avenir, mais à réfléchir à des futurs possibles pour notre société. Elle est censée aider à prévoir les risques et à prendre des décisions stratégiques. Depuis des décennies, je pratique cet exercice de pensée en tant qu’auteur de science-fiction, mais aussi en tant que professionnel du livre qui pense l’avenir de l’édition.

Hier et aujourd’hui

Je me souviens qu’au début des années 2000, j’avais tenté d’alerter mes collègues auteurs, mais aussi les éditeurs que je connaissais, d’un gros risque de surproduction de livres. Chaque année, de plus en plus de titres paraissaient, de nouveaux éditeurs se lançaient dans l’aventure, de plus en plus d’auteurs pouvaient publier. Il paraissait évident que ce formidable dynamisme créatif et éditorial allait finir par saturer les librairies. Il paraissait tout aussi évident que la plupart des auteurs allaient voir leur part du gâteau se réduire avec tous ces confrères en plus : le gâteau, c’est-à-dire le porte-monnaie des lecteurs, n’est pas extensible à l’infini… Je me souviens que j’avais pourtant récolté, au mieux, de l’indifférence, mais le plus souvent des réactions assez goguenardes. On était en pleine euphorie dans la bande dessinée, et dans pas mal d’autres secteurs éditoriaux…

Le temps m’a hélas donné raison. Le chiffre d’affaires de l’édition oscille depuis 30 ans entre 2,4 et 2,8 milliards (en euros constants). Quant au nombre de nouveautés publiées, il a doublé, en gros, tous les 20 ans pour atteindre les 80 000 titres aujourd’hui. En bande dessinée, le nombre de titres a plus que quadruplé depuis l’an 2000, passant de 1 100 à plus de 5 000 aujourd’hui.

Cette croissance des titres s’est accompagnée, comme prévu, d’une paupérisation croissante des auteurs. Elle a, en échange, permis à plus d’auteurs de publier des travaux très variés. En bande dessinée, nous avons connu un véritable âge d’or créatif. Mais même cette explosion créative a atteint ses limites : la dégradation des conditions de vie de la très grande majorité des auteurs ne peut pas ne pas rester sans conséquence sur la qualité de leurs œuvres. Les auteurs acceptent de plus en plus de compromis créatifs, des commandes d’éditeurs inadaptées, ils acceptent de plus en plus souvent de faire des livres qui ne leur ressemblent pas. Beaucoup se perdent dans des petits boulots en parallèles, qui les éloignent de leur travail créatif. Et, avouons-le, beaucoup trop se retrouvent à devoir bâcler de plus en plus. Pourquoi ? Tout simplement pour produire plus, vu que chaque titre rapporte de moins en moins. Tout ça pour tenter de maintenir leur petit bateau juste au-dessus de la ligne de flottaison.

Et c’est précisément ce moment que choisit l’État pour charger la barque des auteurs. Au risque de la faire couler brusquement. Il faut dire qu’à la fin des années 70 ce même État leur avait fait un beau cadeau en créant l’AGESSA, un régime de sécurité sociale adapté à leurs difficultés. L’idée était simple : des prélèvements sociaux seraient perçus sur tous les droits d’auteurs pour que les créateurs qui n’avaient pas une sécurité sociale puissent s’affilier. Car la grande majorité des auteurs ont en fait déjà un travail, vu qu’ils ne veulent ou ne peuvent pas vivre de leurs seuls droits. Aujourd’hui, sur 55 000 auteurs de livres qui cotisent, seuls 2 500 sont réellement affiliés à l’AGESSA. Beaucoup ont sans doute une profession en parallèle. Mais beaucoup d’autres n’ont en fait pas du tout de sécurité sociale : pour être affiliés, leurs revenus d’auteur doivent dépasser un seuil assez modeste, en gros la moitié d’un SMIC brut annuel. Hélas, trop d’auteurs, pourtant à plein temps, n’arrivent plus à gagner cette faible somme aujourd’hui.

En 2014, déjà, une très importante hausse de la retraite complémentaire des auteurs, le RAAP, avait fait tanguer leur barque, et en avait noyé quelques-uns. C’est à ce moment que Benoit Peeters, Valérie Mangin et moi avions créé les États Généraux de la Bande Dessinée en parallèle à la mobilisation du SNAC BD. Nous avions lancé une grande enquête à laquelle près de 1500 auteurs avaient répondu. Elle avait révélé une situation encore plus détériorée que nous l’avions craint. Et une tendance très nette à la baisse des revenus.

Mais cette explosion des cotisations de retraite complémentaire n’était que le début. En 2017, nous découvrions que la hausse de la CSG n’était pas compensée pour les auteurs et artistes comme elle devait l’être pour tous les actifs de ce pays. Après des mois de luttes, nous avons obtenu une promesse de compensation, mais ses modalités techniques ne sont toujours pas définies… À croire qu’il n’y a aucune urgence à éviter une perte de presque 1 % de revenu à une population déjà très précaire…

Pour 2019, le pire reste à venir. Quid du prélèvement à la source ? Les auteurs ont des revenus très aléatoires, assez imprévisibles, et parfois versés une seule fois par an. Ils auraient besoin d’un système spécifique pour que le payement de l’impôt ne grève pas leur trésorerie déjà souvent en grande difficulté. Enfin, en 2019, c’est aussi les régimes spécifiques de sécurité sociale des auteurs et des artistes que l’État démantèle, en transférant le plus gros de l’activité à l’URSAFF.

Le plus effrayant est que l’État impose sa feuille de route comme si les auteurs n’étaient pas déjà en grande difficulté. Les organisations d’auteurs et d’artistes qui réclamaient une concertation sur le dossier de la sécurité sociale depuis 5 ans ont découvert un projet déjà tout ficelé. Il faut réaliser que les métiers d’auteurs et d’artistes sont multiples, spécialisés et chacun très particulier. Les équilibres sont, déjà à la base, extrêmement précaires. Avec une évidente méconnaissance des spécificités de nos métiers, les pouvoirs publics réforment à la hache sur des bateaux qui prennent déjà trop souvent l’eau…

Toutes les organisations d’auteurs ont donc convoqué des États Généraux du Livre. Ils ont convié le Président de la République, le Premier ministre, la ministre de la Culture et celle des Affaires Sociales à venir expliquer pourquoi ils refusent toute concertation aux auteurs sur des reformes qui les concernent au premier chef, et sur lesquelles seuls les auteurs et artistes ont une expertise évidente. Le gouvernement a préféré répondre par la politique de la chaise vide.

La pression médiatique et celle sur les réseaux sociaux ont tout de même abouti à une mission interministérielle. Mais il est très tard, tout semble avoir été décidé, et janvier 2019 est dans six petits mois… Il paraît très difficile de faire comprendre à l’État qu’il faut tout suspendre pour prendre le temps de construire une bonne réforme.

Demain, si ce n’est aujourd’hui

Revenons à la prospective. Projetons-nous dans l’avenir. Suivons le chemin sur lequel nous sommes engagés. Écrivons un des scénarios probables en partant du fait que l’État impose donc des réformes inadaptées aux auteurs et aux artistes.

Parmi tous ceux pour qui la hausse de la retraite complémentaire avait déjà été la voie d’eau de trop, beaucoup passent sous la ligne de flottaison : problèmes de trésorerie, recouvrements en augmentation… Certains arrêteront, s’ils en ont la possibilité. Ce sont en général les auteurs qui ont eu un petit succès et qui peuvent se recycler ailleurs. Il y a toujours des admirateurs pour leur confier du travail dans l’industrie culturelle du cinéma, du jeu vidéo. Ou bien ils deviennent directeurs de collection ou professeurs en école d’Art.

Mais il n’y aura pas de place pour tout le monde, surtout pour ceux pour qui le métier était déjà ingrat. Tous ceux qui font ça depuis 15 ou 20 ans n’ont d’autre choix que de continuer comme ils le peuvent. Ils s’accrochent à leur petit bateau devenu radeau. Ils travaillent encore plus, cassent encore plus leurs prix pour trouver des projets. C’est ça ou le chômage, à part que les auteurs n’y ont pas droit, au chômage. C’est donc ça ou le RSA.

Tirées vers le bas par l’offre, les avances sur droits continuent donc à diminuer. Les jeunes auteurs qui arrivent acceptent ces conditions de plus en plus mauvaises. Il faut dire que pour pouvoir tenir son premier livre avec son nom sur la couverture, on est souvent prêt à tous les sacrifices. Pour pouvoir continuer aussi. C’est la métaphore de la file d’attente : quand on arrive, il y a une longue file, mais on se dit que ça vaut le coup. Plus on reste dans la file, plus on se dit qu’on ne va pas quand même pas avoir fait tout ça pour rien. Même si le but semble ne pas assez se rapprocher, on continue… Pour beaucoup d’auteurs, la file d’attente sera simplement sans fin : le succès, qu’il soit critique ou commercial, ne viendra jamais couronner leur investissement. Ils se sont fait coincer par l’illusion initiale que la file d’attente ne serait pas très longue, que s’ils se donnaient à fond, ils obtiendraient bien une récompense pour tous leurs efforts à un moment ou un autre. De plus en plus se payent même des écoles d’Art privées en espérant atteindre plus vite le succès, alors que de fait ils ont investi une petite fortune dans une loterie où très peu gagneront.

Les éditeurs n’ont à ce moment aucune raison de s’opposer à ce mouvement. Eux-mêmes, pour pouvoir publier de plus en plus, ont réduit tous les coûts.

Et soudainement, à un moment, pour les jeunes qui rêvaient de devenir auteurs, cela va devenir évident que c’est une loterie quasiment ingagnable, qu’il ne faut pas aller dans cette file d’attente, que c’est trop dur et que les résultats sont devenus trop aléatoires.

Les plus « start-up nation » partiront prendre des postes dans l’industrie culturelle. L’édition y perdra sans doute les plus aptes à faire les best-sellers de demain. En plus, nul ne dit que les créateurs français, en particulier les dessinateurs, n’iront pas se réfugier dans les pays qui voudront bien leur offrir des perspectives. Les Français sont réputés pour leur créativité dans le monde entier : beaucoup préfèreront s’expatrier plutôt que de renoncer à leurs rêves. Enfin, la plupart de ceux qui resteront prendra un autre travail, et essayera de continuer à créer dans le cadre de ses loisirs, probablement sur Internet pour la plupart, et vers les plateformes de publication des géants américains. C’est ce qui se passe déjà en littérature, c’est ce qui attend les secteurs jeunesse et bande dessinée. En quelques années, on va passer d’un trop-plein de volontaires pour devenir auteurs professionnels à une pénurie.

Tous les secteurs de l’édition française qui sont aujourd’hui gavés à l’auteur pro pas cher vont devoir réapprendre à bricoler avec des créateurs peu disponibles. Il va quasiment devenir impossible de tenir des délais de parutions rapprochées pour un auteur, et de maintenir le système des séries qui a pourtant été si rentable dans la bande dessinée, par exemple, et auquel la série TV, le manga ou les auteurs young adults anglo-saxons ont habitué le public. De plus, la promotion reposant aujourd’hui déjà principalement sur les auteurs, il va aussi devenir de plus en plus en plus difficile de soutenir les lancements. Les best-sellers vont donc continuer à se faire de plus en plus rares. En plus, les maisons d’édition vont se retrouver à se battre pour les quelques auteurs qui trouveront le succès sur Internet comme elles se battent déjà aujourd’hui pour traduire les best-sellers étrangers. La rentabilité de la plupart des best-sellers en sera donc lourdement affectée.

Il est donc possible que l’édition entre à ce moment dans une crise digne de celle que les maisons de disques ont connue avec le piratage.

Il serait trop long de développer ici tous les scénarios possibles. Mais je n’en ai pas trouvé un seul qui ne soit pas au minimum pessimiste…

Après demain

Que se passera-t-il si les auteurs et l’édition française connaissent une crise majeure ? Il est à craindre qu’elle ne contamine toute l’industrie culturelle française, et même au-delà.

Il faut bien réaliser que dans le domaine des arts narratifs, le livre a un statut économique très particulier. Réaliser un film, une série TV, un jeu vidéo ou monter une pièce de théâtre, tout cela coûte la plupart du temps très cher. Le budget du moindre petit film indépendant est de 2 millions d’euros. Si on parle de plus en plus souvent en centaines de millions dans le cinéma, la série TV ou le jeu vidéo, dans l’édition, on parle modestement en dizaines de milliers d’euros. C’est normal, un livre, est réalisé par seulement quelques personnes et non par des centaines comme dans l’audiovisuel. Oui, l’économie du livre est très légère, cela explique qu’elle soit regardée avec un certain dédain parfois. Cette économie légère, voire low-cost aujourd’hui, a pourtant pour elle un énorme avantage : on peut y prendre des risques beaucoup plus facilement qu’ailleurs. On y laisse même encore souvent des auteurs faire un peu ce qui leur passe par la tête. Le livre est encore un grand lieu de liberté, d’invention et d’expérimentation. Il est devenu, de fait, le laboratoire de recherche et développement des grandes industries culturelles. Et on sait ce qui advient quand une société rogne sur la recherche et le développement : elle périclite rapidement.

Mais ce problème pourrait aller au-delà de l’audiovisuel. Les artistes sont autant menacés par les réformes que les auteurs. Quid de l’inventivité de notre industrie du luxe ? De l’automobile ? Et notre attractivité touristique ? Peut-elle survivre à un effondrement culturel du pays ? Bref, c’est toute la « french touch » économique qui vit des recherches menées à faible coût par les artistes et les auteurs. Nous sommes les premiers de cordée de toute cette réussite créative. Si nous tombons, tout le monde tombera avec nous.

Si aujourd’hui les éditeurs comme les pouvoirs publics ne comprennent pas le danger, s’ils continuent tous à agir comme si notre créativité pouvait résister à tous les coups, alors il y aura une catastrophe.

C’est déjà arrivé à d’autres pays. L’Italie était, toujours, un des pays les plus créatifs au monde dans les années 70. Fellini valait Hitchcock, le western mangeait des spaghettis, on lisait partout Moravia, Buzzati, Calvino, la bande dessinée italienne était la plus productive d‘Europe, c’est même là qu’on réalisait les aventures de Mickey et Donald. Où est passée cette Italie aujourd’hui ? Comment un si grand pays a-t-il pu être sorti aussi rapidement de la culture mondiale ?

La France n’est pas à l’abri d’un tel destin. Il faut en avoir pleinement conscience. C’est le seul moyen d’éviter un tel avenir. Je consacrerai un prochain texte à parler de ce qu’il faudrait profondément repenser pour inverser la tendance.

Évidemment, tout cela est très simplifié, c’est le principe de la prospective comme de l’anticipation de mettre le focus sur quelques éléments et de regarder comment ils se comportent dans le temps. La réalité est toujours bien plus complexe et chaotique. Mais les grandes tensions que je dessine dans ce texte sont déjà à l’œuvre. J’espère que l’avenir me donnera tort. Ne serait-ce que parce que nous aurons fait ce qu’il faut pour échapper à ce destin. Je ne voudrais surtout pas être celui qui aurait prédit le jour où la France s’arrêta.

Comment illustrer la question sociale ?

Ce n’est pas un secret, j’ai dessiné la petite Marianne écrasant par erreur les auteurs qui sert à la communication des États Généraux du Livre. Nous en avons eu l’idée pendant une des réunions préparatoires. Il fallait bien montrer que l’État nous avait déjà marché un peu dessus par inadvertance au moment de la hausse de la CSG, et que les réformes à venir pouvaient tourner au désastre si ce même État ne prenait pas la mesure de la précarité actuelle de la plupart des créateurs.

Rentré chez moi, j’ai réfléchi, il fallait que ce dessin soit à la fois très clair mais pas trop violent, afin de ne pas provoquer de rejet immédiat. C’est toujours très délicat de communiquer sur des problématiques sociales et professionnelles. Les auteurs ne veulent pas faire pleurer dans les chaumières, ils veulent juste pouvoir vivre de ce qui est pour beaucoup un travail à plein temps (et souvent plus). C’est pour ça que j’ai choisi de montrer une petite Marianne tout innocente, et de la traiter graphiquement tout aussi naïvement.

Je n’ai pas signé ce dessin pour ne pas perturber la communication avec une information visuelle en plus. J’ai aussi donné ce dessin au CPE pour qu’il en fasse ce qu’il faut comme il le veut dans le cadre de ces Etats Généraux du Livre.

Tout cela m’a pris un peu de temps, vous le devinez, alors j’espère que vous prendrez quelques petites minutes pour signer la pétition qui accompagne l’annonce de ces états généraux : https://www.change.org/p/pas-d-auteurs-pas-de-livres

Merci !

payetonauteur.com

Le site payetonauteur.com vient d’être lancé conjointement par La Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse et le Groupement des Auteurs de Bande dessinée (SNAC) pour prolonger la solidarité de la campagne #PayeTonAuteur. C’est une très bonne nouvelle de voir les deux organisations d’auteurs se rapprocher ainsi pour mieux défendre les auteurs jeunesse et bande dessinée !

Paye ton auteur

Le salon Livre Paris se fait prier pour payer les auteurs en intervention. Et pas qu’un peu.

Ce sont les adhérents de La Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse qui avaient lancé l’alerte : cette année, le salon du livre ne voulait pas les rémunérer. C’était s’en prendre à un symbole, car La Charte a su obtenir depuis longtemps le paiement des interventions des auteurs et autrices jeunesse. Cette bonne pratique a même été imposée par le Centre National du Livre à tous les festivals qui touchent ses subventions.

Mais voilà, Livre Paris est un salon, c’est à dire une organisation à but lucratif, contrairement à un festival. Comme il ne touche pas de subventions du CNL, il s’est donc senti libre d’imposer la gratuité aux auteurs. Au mépris des usages, au mépris surtout du travail qu’il leur demande de fournir.

Détail plus que croustillant, c’est le SNE, le syndicat des éditeurs, qui organise ce salon, même s’il est délégué à un prestataire, Reed Expositions. C’est donc, très symboliquement, le syndicat des éditeurs qui affiche par ce biais qu’un auteur ça ne se rémunère pas.

Aujourd’hui, suite à une première bronca des auteurs de La Charte, Livre Paris a accepté de payer… enfin, pas exactement toute le monde… enfin, c’est compliqué, vous comprenez…

Chers éditeurs, il serait peut-être temps d’appeler vos élus au SNE pour râler, non ? Acceptez-vous vraiment, que le seul salon organisé par votre syndicat affiche aussi ostensiblement son mépris des auteurs ?

#PayeTonAuteur

Le marché de la BD se porte bien, pas les auteurs

Un papier de l’AFP La bande dessinée, secteur en plein essor, repris par de très nombreux sites de la grande presse, a énervé pas mal d’auteurs la semaine dernière. Nous avions été nombreux à faire remarquer qu’on ne pouvait pas se contenter du seul discours du SNE, syndicat des éditeurs, et que la situation des créateurs de BD était loin d’être triomphale, elle. Notre énervement sur les réseaux sociaux n’est pas passé inaperçu. Merci à Francis Forget de Culturebox / France Télévision d’avoir pris le sujet en main et d’avoir donné la parole aux auteurs.

Entretien avec André Schiffrin

La Fabrique venait de publier ‘L’édition sans éditeurs’ lorsque j’ai entendu la première fois André Schiffrin parler en public pendant un Autarcic Comix à Bruxelles. Je m’étais jeter sur l’ouvrage. Dès 1999, en se basant sur son expérience au USA, André Schiffrin y prédisait ce qui allait se passer en France dans la décennie suivante. Suivirent les tout autant passionnants ‘Le contrôle de la parole’ et ‘L’argent et les mots’.

du9 publie la transcription d’une table ronde avec William Henne et Xavier Guilbert de 2011, qui, comme toujours avec André Schiffrin, mais aussi Xavier, semble parler de ce que nous vivons précisément aujourd’hui. Passionnant !

La BD, un secteur en plein essor ?

LA BD VA SUPER BIEN ! SI ! Car ce qui est bien avec l’Agence France-Presse, c’est que ses articles sont repris partout. Donc, c’est officiel “la bande dessinée est un secteur en plein essor” puisque Libération, Le Figaro, L’Express, Le Point et consorts le disent tous en même temps…

Bon, bien sûr, l’AFP n’a interrogé que les gros éditeurs. Mais pourquoi aurait-elle demandé leur avis aux auteurs, par exemple ? Non, non, ces auteurs ne sont définitivement bons qu’à faire des livres et qu’à se précariser dans leur coin en silence…

Bref merci l’AFP. Vous devriez aussi faire un article sur la presse qui va super bien, en n’interrogeant que les patrons des groupes et surtout aucun journaliste…

[EDIT] Le texte de l’article, qui a disparu du site de l’AFP depuis :

La bande dessinée, secteur en plein essor

Dans un marché de l’édition morose, le secteur de la bande dessinée affiche une forme éclatante avec une croissance de 20% de son chiffre d’affaires au cours des dix dernières années, selon un rapport du Syndicat national de l’édition (SNE) divulgué mardi. Le signe le plus visible de ce dynamisme est la sortie jeudi, à un total de 5 millions d’exemplaires (dont 2 millions en français), du 37e album des aventures d’Astérix, “Astérix et la Transitalique”.

Avant Astérix, il y a eu Titeuf dont le 15e album, publié fin août, a été tiré à 550.000 exemplaires ou encore Largo Winch (350.000 exemplaires), Le Chat (300.000), Corto Maltese (250.000). D’ici la fin de l’année d’autres “locomotives” sont attendues en librairie dont la suite du Chat du rabbin (100.000 exemplaires prévus), les Tuniques bleues (110.000), les Cahiers d’Esther (100.000), les Vieux fourneaux (200.000) et Lou! (320.000). Aujourd’hui, 8,4 millions de Français achètent de la BD, soit 15,5% de la population âgée de plus de 10 ans, indique le rapport du SNE. Le secteur de la BD se situe au 3e rang de l’édition française (derrière la littérature générale et l’édition jeunesse) avec 14% de parts de marché.

L’étude du SNE montre également que l’acheteur de BD est relativement jeune (41 ans en moyenne contre 44 ans pour un acheteur de littérature générale), féminin (53% des acheteurs de BD sont des femmes) et appartient plutôt aux catégories socio-professionnels supérieures. Si la BD franco-belge (Astérix, Lucky Luke, Corto Maltese…) attire encore le plus grand nombre d’acheteurs (près de 7 millions), l’étude relève que l’achat de mangas (environ 5 millions d’acheteurs) se renforce régulièrement.

Lire ou élire ?

En un an le marché du livre s’effondre de 9%

Le livre va mal. Après une relative stabilisation du marché entre 2015 et 2016, l’année écoulée est de mauvaise augure pour le secteur.

Le marché du livre a accusé une baisse de 9% en euros courants et de 9,3% en volume, tous circuits confondus, par rapport à avril 2016, selon l’étude menée par Livres Hebdo avec l’institut I+C. […]

Lire la suite surculturebox.francetvinfo.fr

Dans le milieu du livre, les années électorales ont la réputation d’être mauvaises pour la librairie. Des lecteurs moins attentifs, plus angoissés par l’avenir, trop occupés à discuter pour lire, les explications étaient multiples.

Mais, aujourd’hui, force est de constater que de plus en plus d’éditeurs retardent la sortie des livres sur lesquels il y a des enjeux économiques, préférant en tirer tout le profit possible un peu plus tard. Cette année, beaucoup de libraires disent ouvertement s’être retrouvés en manque de nouveautés importantes, et ce depuis des mois. On sait que cela durera jusqu’à la fin de la séquence électorale, donc jusqu’à la rentrée littéraire, qui elle va se retrouver probablement saturée de ces nouveautés à enjeux commerciaux, qui vont donc se marcher les unes sur les autres…

Il y avait sans doute un phénomène année électorale en librairie, mais la trouille et les tactiques à court terme de trop d’éditeurs va-t-elle finir par transformer, tous les cinq ans, cette difficulté en vraie catastrophe ?

Ego comme x

Le premier numéro d’Ego comme X en 1994

Je viens d’apprendre qu’Ego comme x ferme ses portes. Quelle tristesse.

Ego comme x fait partie de la poignée de maisons d’édition qui ont marqué la Bande Dessinée dans les années 90. Créée à Angoulême par Fabrice Neaud, Xavier Mussat et Loïc Néhou autour de la revue éponyme, elle est principalement connue pour avoir quasi inventé l’autobiographie en bande dessinée. Pendant 23 ans, Ego comme x n’a été que pertinence et exigence, se renouvelant sans cesse sans jamais tomber dans les modes ni les facilités. Depuis 10 ans, elle s’était ouverte à la littérature avec la même sagacité. Cette tenue dans le temps, on la devait à Loïc Néhou et à son sens du sacerdoce.

J’habitais à Angoulême au milieu des années 90, et j’ai bien connu les débuts de cette aventure. Je trouvais la revue excellente, j’ai cherché à les rencontrer, et ses trois fondateurs sont devenus des amis. Au delà de cette amitié, je garde le plus grand respect pour tout ce qu’ils ont créé. Je savais les difficultés de Loïc, il s’en était ouvert à moi. Oublié par les financiers culturels locaux, en particulier le CRL Poitou-Charentes et Magelis, il n’arrivait même plus à se verser un salaire depuis cinq ans. Il jette donc finalement l’éponge. Et Angoulême perd sa plus ancienne et prestigieuse maison d’édition.

Comment est-ce possible dans cette ville, ce département et cette région ou tant de politiques et décideurs revendiquent leur action pour la Bande Dessinée ? On ne parle pas de millions de subvention, mais de quoi financer une petite structure construite pour être la plus économe possible. Heureusement que tous ces acteurs locaux sont censés défendre la Culture. Comment mieux qu’avec Ego comme X pouvaient-ils le faire ? Franchement, c’est lamentable.

Je te fais une grosse bise, Loïc.

Un album sans droits d’auteur

Quand je disais il y a quelques jours que « un des plus gros éditeurs de France va publier un album sans payer un seul centime de droits d’auteur » c’est de Pepper & Carrot que je parlais. Bon papier de Xavier Guilbert qui pointe bien la zone de conflit.

Avouons-le : après un été sans histoire, on se préparait à une rentrée qui ne l’était pas moins. Sauf que. Le 30 août, soit juste avant la reprise du chemin de l’école, Calimaq (aka Lionel Maurel, « juriste & bibliothécaire » comme il l’indique sur son site) décide d’attirer l’attention sur Pepper & Carrot, projet atypique s’il en est. L’info était passée inaperçue en juillet — magie des réseaux sociaux, la voilà qui se répand comme une traînée de poudre en septembre.

Commençons par résumer les faits, le plus simplement possible :
En mai 2014, David Revoy (auteur français de son état) publie sur son site le premier épisode de son webcomic, Pepper & Carrot. Cet épisode, ainsi que les 17 autres parus à ce jour, est réalisé uniquement à l’aide de logiciels libres, et proposé gratuitement sous licence « Creative Commons Attribution » (aussi appelée, pour aller vite, « CC-BY »). La seule rémunération de l’auteur pour cette oeuvre provient du mécénat, par le biais des sites Patreon (pour les utilisateurs de dollars) et Tippee (pour ceux qui sont en euros) […]Lire la suitewww.du9.org