L’atelier des années 90

Hier, j’ai publié cette photo sur les réseaux sociaux commentée d’un « Retrouvailles de l’atelier des années 90. De gauche à droite, Xavier Dorison, Alex Alice, Denis Bajram et Mathieu Lauffray ». Beaucoup de lecteurs ont eu l’air de découvrir à ce moment les liens qui nous unissent tous les quatre. C’est vrai que nous nous étalons rarement sur nos parcours, préférant laisser parler nos livres. Alors, ouvrons la boîte à souvenirs.

En 1990, après une année de maths à Jussieu puis deux ans aux Beaux-Arts de Caen, j’ai eu la chance d’être admis dans la prestigieuse École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris. J’y ai rencontré plein d’autres étudiants et étudiantes, plus doués les uns que les autres. Mais la rencontre la plus marquante fut celle d’un certain… Mathieu Lauffray. Ce fut particulièrement pendant les cours de « morphostructure » (manière compliquée de dire géométrie) que nous avons commencé à discuter, en particulier de BD et de comics dont nous étions fans tous les deux. Un jour, en sortant des cours, je l’ai donc suivi à son petit appartement, au pied de la montagne Sainte Geneviève où se situait l’école, et donc en plein quartier des libraires BD.

De proche en proche, j’ai fini par venir de plus en plus souvent pour squatter le second bureau du petit atelier qui occupait la moitié des lieux. On a beaucoup échangé, lui m’initiant aux arcanes de l’illustration ou de l’encrage, moi lui faisant découvrir en échange les subtilités de la narration graphique propre à la Bande Dessinée. Si nous avions tous les deux déjà beaucoup travaillé nos pratiques artistiques, nous l’avions fait dans des axes très différents, et nous avions donc énormément à nous apprendre l’un à l’autre. Finalement, au milieu des années 90, Mathieu signa chez les encore jeunes éditions Delcourt pour son premier album, Le Serment de l’Ambre et je ne tardais pas à le suivre avec Cryozone.

D’autres dessinateurs passaient à l’atelier, les amis de Mathieu bien sûr comme Marc Botta, François Baranger, Nicolas Bouvier aka Sparth… J’y amenais aussi les miens. En parallèle de mes études, j’avais animé des fanzines de BD et participé à l’organisation de festivals. C’est dans le cadre de celui des grandes écoles que j’avais rencontré Xavier Dorison, étudiant en école de commerce qui voulait devenir scénariste. Il m’avait à son tour présenté son comparse dessinateur, Alex Alice, avec lequel ils essayaient de monter un projet BD, très original à l’époque, nommé Le Troisième testament. de la « catholic-fantasy » comme il était amusant de le résumer. Très vite, les présentations avec Mathieu furent faites, et très vite aussi toute la bande s’entendit au mieux.

Mais, après avoir bien gagné ma vie comme graphiste chez Hachette, je me retrouvais jeune auteur de BD sans le sou. N’arrivant plus à me payer un loyer parisien, je dû partir à Angoulême en 1995. La place libérée, Alex travailla ses pages chez Mathieu. Mais il passa aussi du temps chez moi à Angoulême pour s’initier à la narration et à la mise en page. Et enfin, Xavier et lui signèrent Le Troisième Testament chez Glénat.

Mathieu, me voyant dépérir à Angoulême, profita d’un projet de nouvel atelier pour me rapatrier dans son ancien appartement parisien (encore mille mercis, Mathieu, tu m’as sauvé la vie ce jour-là !). En effet, sa nouvelle habitation avait été choisie beaucoup plus vaste pour pouvoir accueillir un très grand lieu de travail collectif.

C’est dans une petite cour de la rue Saint-Denis que la magie allait de nouveau fonctionner. En plus de Mathieu, d’Alex, de Xavier (qui nous rendait visite en sortant de son boulot) et de votre serviteur, les principaux habitués furent Christian Mattiucci ami graphiste rencontré aux Arts déco, Patrick Pion, que j’avais connu à Angoulême, Robin Recht, sans oublier tous ceux passèrent nous voir là-bas plus ou moins fréquemment…

Ce vendredi, profitant de mon passage au festival du Livre de Paris, nous avons réuni le noyau dur historique de l’atelier des années 90. Franchement, quel plaisir de se retrouver ainsi au soleil pour un long repas en terrasse avec Mathieu, Alex et Xavier. Et, pour une fois, on n’allait pas oublier de faire une photo.

En la publiant sur les réseaux sociaux, j’ai bien vu que beaucoup y voyaient une magnifique « dream team » de la BD. C’est vrai que nous avons tous les quatre eu la chance énorme de connaître le succès, parfois même en travaillant les uns avec les autres. Mais ce qui compte pour moi, c’est l’amitié qui nous réunit tous les quatre. Elle est riche d’être à la fois humaine et artistique. Et elle est riche de durer depuis trois décennies. Que ce soit dit, je vous aime, les copains !