Milieux des années 90. Delcourt publie mon premier album, Cryozone, et je pars donc en tournée de dédicaces en France et en Belgique. À l’époque la plupart des libraires de Belgique s’intéressaient surtout aux auteurs belges et à la production de BD nationale. Mais, avant même de savoir que Cryozone allait être un succès, Eliane m’avait convié à venir dédicacer dans sa librairie Forbidden Worlds à Bruxelles Saint-Gilles. C’est donc ainsi que je fis sa rencontre et celle de son compagnon Cédric qui tenait la librairie de comics parallèle, Forbidden Zone.
Eliane adorait les auteurs, on le sentait dès la première minute. Elle nous ouvrait ses bras avec affection et enthousiasme. J’ai donc vite pris mes habitudes à chaque parution, venant passer quelques jours dans la maison qu’elle prêtait facilement à Bruxelles. J’y ai fait plein de rencontres. C’est Eliane qui eut l’idée, par exemple, de me présenter Didier Tarquin, et de nous faire signer côte à côte, se riant de la guerre que tout le monde voulait voir à l’époque entre Delcourt et Soleil. Ce même Didier Tarquin qui allait me convaincre, avec Christophe Bec, de signer chez Soleil pour y trouver la liberté créative qui m’a permis de réaliser Universal War.
Je raconte cette histoire, car c’est là tout Eliane pour moi : la porte toujours ouverte, toujours partante pour aller boire un coup ou manger un morceau, mais surtout rassemblant autour d’elles des gens qu’on n’imaginait pas ensemble. Grâce à elle, les librairies Forbidden ont été des lieux de vie et de rencontre formidables, et nous y avons toujours eu plaisir, Valérie et moi, à y retourner, parce qu’Eliane pouvait dénicher un livre que personne d’autre ne pouvait nous trouver, parce qu’elle organisait un événement auquel on ne pouvait pas dire non, mais, aussi, et surtout à l’improviste, juste pour prendre des nouvelles de nos amis.
Lorsqu’Eliane et Cédric ont quitté leur librairie, nous nous sommes dit que la BD y avait perdu un petit peu d’âme. Ce matin, en apprenant le décès d’Eliane, c’est tout une époque que nous voyons disparaître. Tu vas nous manquer, Eliane, même si nous ne nous voyions plus du tout assez ces dernières années, se croisant juste pendant le festival d’Angoulême. On t’embrasse très fort, et on embrasse très fort Cédric et tes deux fils. On aura eu beaucoup de chance de te croiser.