Ministère amer

Vendredi a eu lieu au ministère de la Culture la réunion la plus ubuesque à laquelle j’ai pu participer en trois décennies d’engagement syndical. Ce fut aussi la réunion la plus courte.

Nous ne partions pourtant pas d’une situation idéale pour cette nouvelle concertation éditeurs / auteurs. Lancées depuis un an, nos négociations interprofessionnelles n’ont pas du tout apporté, pour l’instant, des résultats à la hauteur de la crise socio-économique qui touche les créateurs et créatrices du livre. En plus, le ministère avait déjà écarté de ces concertations le CAAP1, syndicat sans doute trop revendicatif à son goût, et ce malgré sa grande compétence technique.

Vendredi, lors de cette réunion au ministère, ce fut au tour du SNE, principal syndicat des éditeurs, de vouloir décider quelles personnes pouvaient représenter ou pas une organisation d’auteurs. Face au refus de la Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse d’écarter un de leurs représentants, l’avocat Denis Goulette, leur conseiller juridique, le SNE a donc quitté la réunion. Cerise sur le gâteau, une partie des représentants des auteurs, au lieu de soutenir la Charte, a trouvé le premier prétexte pour se lever à son tour et suivre les éditeurs dans leur refus de tenir cette réunion, laissant la Ligue des auteurs professionnels et la Charte seuls. Si-dé-rant.

Nous, représentants de la Ligue, avons demandé avec ceux de la Charte à ce que la réunion continue. Nous aurions pu au moins parler de ce qui venait de se passer. Mais le ministère a levé la séance, pliant ainsi devant les exigences du SNE. Ce n’était pas la première fois de la journée : à la demande du SNE, le ministère avait déjà tenté d’empêcher Maitre Goulette d’entrer dans la réunion, mais avait reculé en voyant qu’il était accompagné d’un huissier venu constater cette entrave manifestement illégale.

Tout cela est très grave et pose de sérieuses questions.

Déjà, peut-on parler de démocratie sociale lorsque les ministères ou les organisations patronales s’arrogent le droit de décider de qui va négocier pour les travailleurs ? Évidemment non. C’est tellement inéquitable qu’on se demande comment ils peuvent seulement oser le faire sans penser que cela va profondément choquer tous ceux qui l’apprendront.

Ensuite, comment a-t-on pu en arriver là ? Rappelons que la recommandation n°5 du Rapport Bruno Racine était d’organiser rapidement des élections professionnelles dans chaque secteur de création artistique afin de doter les artistes-auteurs d’organisations représentatives et financées. Cette urgence à avoir des élections afin que les auteurs et autrices choisissent qui parle en leur nom s’avère plus que nécessaire quand on constate que le simple choix des négociateurs est soumis aux coups de force des uns ou des autres. Face à ce blocage, on se demande vraiment pourquoi cette recommandation du rapport Racine a été enterrée… comme la plupart des autres d’ailleurs.

Enfin, tout cela interroge la neutralité du ministère de la Culture. Ne doit-il pas veiller à la réalité du dialogue social ? A quel point a-t-il cédé devant les industries culturelles aux dépens des créateurs et créatrices ? Incompétence ou malveillance ?

Cher ministère, après tous ces faux pas, il va vraiment falloir maintenant que tu nous prouves que tu soutiens notre droit en tant qu’auteurs et autrices à pouvoir nous défendre sérieusement. Et nous ne nous contenterons pas de quelques mots.

 

Pour en savoir plus sur ce qui s’est passé lors de cette réunion :

Notes