Le jour ou Samantha Bailly démissionna

Je ne peux que relayer aujourd’hui le message de Samantha Bailly. En plus de 20 ans d’engagement associatif et syndical pour la cause des auteurs, c’est la militante la plus investie, solide et compétente avec qui j’ai pu travailler. Mais tout ce qu’elle et moi, et tant d’autres, avons tenté de changer en faveur des créateurs et créatrices depuis des années se fracasse aujourd’hui sur l’inconséquence des politiques et des pouvoirs publics.
Le message de Samantha :

Suite aux annonces de la ministre Roselyne Bachelot qui enterre les mesures du #RapportRacine, après 3 années intenses d’engagement pour mes pairs, je cesse tous mes mandats. Un tel mépris pour la parole des auteurs et autrices eux-mêmes et pour le dialogue social défie l’imagination.

Voilà désormais 3 ans que je suis engagée bénévolement au quotidien pour l’amélioration des conditions sociales de ma profession. Cela a commencé en 2017 au conseil d’administration de la La Charte des auteurs et des illustrateurs pour la jeunesse puis en 2018 à travers la fondation puis la consolidation de la Ligue des auteurs professionnels. J’ai présidé ces deux organisations professionnelles avec enthousiasme et travail acharné, épaulée constamment par des auteurs et autrices formidablement engagés et compétents. Je tiens ici à les remercier du fond du cœur : je n’aurais pas tenu une semaine sans la solidarité à toute épreuve de ceux et celles qui pensent constamment à l’intérêt collectif, à savoir : comprendre les clefs de cet écosystème complexe et agir avec fermeté pour améliorer la condition sociale de nos professions.

Car oui, il s’agit bien d’un combat. D’un combat syndical. Il nous aura fallu longtemps avant de prononcer le mot syndicat et d’en comprendre toute la signification, nous qui baignons dans l’univers du livre. Par sa représentation romantisée de l’acte de création, le monde de la culture tient méticuleusement à distance toute référence au travail pour les créateurs et créatrices. Et pourtant, sans ambiguïté, créer est aussi un travail. Le secteur de la culture emploie 670 000 personnes et pèse pour 2,3% du PIB français : cette richesse économique vient de créateurs et créatrices d’œuvres qui cotisent comme des professionnels et à qui l’on nie encore aujourd’hui des droits fondamentaux en matière de droits sociaux. Les raisons de ce déni ? Notre singularité de créateur et créatrice nous exclurait de facto de toutes les règles de droit commun quand il s’agit de protéger nos professions (mais étrangement, pas quand il s’agit de contribuer !). Cette singularité ferait de nous des individus à part, pour le pire socialement et non pas le meilleur. Cette singularité en viendrait à nier que nous sommes des citoyens et citoyennes français à part entière.

Je voulais vous écrire aujourd’hui pour une raison bien précise. Le jour où la Ligue des auteurs professionnels a franchi la porte d’entrée d’une salle du ministère de la culture, pour rencontrer la mission Racine, Denis Bajram et moi-même avions formulé une promesse à leur équipe. Si la mission Racine échouait, nous rendrions nos mandats. Non par défaitisme. Mais pour dire publiquement l’inaction des pouvoirs publics alors que ces derniers auraient, nous l’espérions, désormais toutes les cartes en main pour agir.

Le rapport Racine le démontrait brillamment : le cœur des enjeux est bien la reconnaissance d’une profession. Tant que cette profession sera niée, tant que le mot travail ne pourra pas être prononcé, alors nous continuerons à vivre le grand n’importe quoi que nous connaissons depuis des décennies – spoliation des droits à la retraite, dégradation des rémunérations, absence de minimums de rémunérations, absence d’élections professionnelles et d’une démocratie sociale, dialogue social entaché de conflits d’intérêts, accès aux prestations sociales plus que chaotique, etc.
Pour que rien ne change… il fallait enterrer les mesures Racine. C’est chose faite officiellement depuis les annonces de la ministre Roselyne Bachelot, qui a pris le parti de « reculer », comme l’indique Le Monde. Les pouvoirs publics ont une immense responsabilité dans la souffrance professionnelle des artistes-auteurs, par leur inaction qui est bien correspond à un manque criant de courage face à des lobbies très installés.

Je vous épargne le traditionnel bilan des actions de ces 3 dernières années : les rapports d’activité des organisations professionnelles jouent très bien ce rôle. Je quitte aussi le conseil d’administration du Centre National du Livre, où ne siègent pas des organisations professionnelles mais des « personnalités qualifiées ». Mon mandat arrive à sa fin, et comme répété mille fois aux pouvoirs publics : il faut que des organisations professionnelles siègent dans les instances concernant les artistes-auteurs, et non pas des personnes, aussi qualifiées ou compétentes soient-elles. Si la personnification importante a ses avantages dans le combat, notamment quand des créateurs et créatrices utilisent leur notoriété pour servir la cause, elle a ses limites. On l’a vu dans le cadre de l’affaire SGDL/ Joann Sfar : la violence de certaines institutions à l’encontre des auteurs et autrices eux-mêmes, des individus donc, a redoublé. Il est bien plus facile de cibler des individus engagés pour tenter de faire taire un mouvement. À ce titre, j’ai moi-même fait l’objet de nombreuses menaces et tentatives d’intimidations depuis le début de l’exercice de mon mandat – et je passe sur les attaques sexistes. Ce n’est pas acceptable. Nous avons besoin d’organisations professionnelles puissantes qui protègent des individus qui se retrouvent de facto en position de partie faible.

J’insiste sur l’importance de distinguer la défense du droit d’auteur de la défense de nos intérêts professionnels. Le droit d’auteur est fondamental, mais n’est ne correspond pas toujours à la défense des intérêts professionnels des auteurs. Le droit d’auteur, par essence, est un droit de propriété qui a en France la particularité de se transmettre aux exploitants des œuvres sans véritables garde-fou concrets pour que nous puissions en contrôler l’exploitation. Il est vital d’établir enfin des règles de représentativité conformes à une démocratie sociale, en cessant de confondre les organismes de gestion collective (sociétés privées sous tutelle du ministère de la Culture) et les syndicats. Comme il a été vital d’enfin faire comprendre que les intérêts des maisons d’édition sont parfois convergents avec ceux des auteurs et autrices, mais souvent divergents. Il y a peu de temps encore, on entendait dire que les auteurs et autrices étaient représentés par les maisons d’édition…

Rien ne change institutionnellement, et pourtant tout change dans nos mentalités. Car il existe bien désormais un mouvement inédit de solidarité entre artistes-auteurs. Une compréhension de plus en plus fine et accrue des enjeux et des points de blocage vers l’obtention de droits sociaux. Et surtout, une détermination à gagner en expertise. Car soyons clairs : les artistes-auteurs ont peu de moyens, en revanche ils auront toujours pour eux leur solidarité, leur créativité et leur capacité à saisir l’outil du droit pour se défendre.

C’est avec beaucoup d’émotion que je vois aujourd’hui la Ligue des auteurs professionnels, simple collectif il y a deux ans, mettre au vote sa transformation en puissant syndicat. Je quitte ma fonction de présidente avec espoir : l’espoir de voir tout ce travail collectif se consolider. La joie à ma petite échelle d’avoir contribué à ce combat collectif si essentiel pour l’avenir de nos professions plus malmenées que jamais. Mais j’éprouve aussi une tristesse profonde : celle de voir qu’aujourd’hui, l’argent du droit d’auteur, l’argent des auteurs donc, est utilisé dans un lobbying à l’encontre de leurs intérêts professionnels. Il y a un gouffre immense entre la représentation que l’on se fait des auteurs et autrices, et la réalité très concrète de leurs droits qui sont constamment bafoués. L’application des mesures du rapport Racine aurait pu changer la donne de façon inédite et historique, elle aurait pu avoir des effets très concrets sur la vie des créateurs et créatrices… Cette chance n’a pas été saisie par les pouvoirs publics. Le combat continue. Il est plus nécessaire que jamais dans cette période.

Samantha Bailly

En relisant les mots de Samantha, et en réfléchissant à la discussion que nous avons eu hier, je repense au long article que j’avais écrit il y a trois ans sur la catastrophe cuturelle que des décennies de mauvaises politiques envers les artistes-auteurs était en train de créer. J’avais nommé cet article Le jour ou la France s’arrêta. En voyant à quel point les espoirs qui avaient été ouverts par le rapport Racine ont finalement été douchés, je me dis que ce jour ou la France s’arrête, ça pourrait ressembler à aujourd’hui.

En conclusion, je ne peux que recommander aux auteurs et autrices du livre qui ne l’auraient déjà fait d’adhérer à la Ligue des auteurs professionnels :

Dessin de Sandrine Bonini

Et si Batman avait été italien ?

J’avais raconté il y a quelque jours les origines de la Batmobile de la série TV des années 60, construite sur un concept car de Ford de 1955, la Lincoln Futura. Voilà que je découvre ce matin l’existence d’un concept car italien qui aurait, lui aussi donné, une merveilleuse Batmobile.

Ce modèle, proposé en 1953 par Alfa-Romeo et le carrossier Bertone, s’appelle, accrochez-vous, BAT 5, pour Berlina Aerodinamica Tecnica. Incroyable coïncidence, non ?

 

Le « droit d’auteur » est-il… aux auteurs ?

La plupart des lecteurs l’ignorent, mais, bien trop souvent, les éditeurs se cèdent les droits de livres entre eux et/ou en change la présentation sans que l’auteur n’ait son mot à dire. Sur Facebook, l’écrivain Pierre Pelot se plaint d’être le dernier à apprendre que ses livres ont été réédités par un tiers.

Et voilà que j’apprends cette réédition de Transit au Mouton Electrique, apparemment. J’APPRENDS. Je ne savais pas donc. N’ai jamais vu ce livre. De la même manière je n’ai jamais vu la dernière édition par ce même éditeur, via Helios, de L’ILE AU TRÉSOR.

Pour le moment je ne sais qu’en penser. Au seuil de la colère, j’hésite…

Mais n’hésite pas à vous demander de ne pas acheter ces livres.Compte Facebook de Pierre Pelot

Impossible de pas repenser à cet éditeur qui, après avoir cédé sa société à un autre sans avertir ses auteurs, avait répondu à ceux qui s’en plaignaient que le fermier ne prévient pas les animaux quand il vend sa ferme…

On voit là une des principales limites du « droit d’auteur » à l’européenne. Ce nom de « droit d’auteur » laisse à penser qu’il protège les auteurs, mais, dans les faits il protège surtout les œuvres, et ce au profit des sociétés qui en ont acquis les droits patrimoniaux auprès de l’auteur. Cette cession se fait souvent, hélas, à bas prix bien que ce soit pour la durée de la vie de l’auteur puis de ses descendants jusqu’à 70 ans après sa mort. Lors de cette cession, les auteurs perdent quasiment le contrôle réel de leur création, de qui l’édite, de la présentation qui en est faite, de comment elle est commercialisée…

Après cette cession, il ne reste le plus souvent aux auteurs que leur « droit moral », à savoir la paternité de leur œuvre (on ne peut retirer leur nom), la protection de son intégrité (c’est souvent limite dans les faits) et d’un droit au repentir (trop coûteux souvent pour l’auteur). Tout le reste passe donc dans les mains de l’éditeur. S’il y a « propriété intellectuelle », le plus gros de cette propriété est clairement et définitivement transférée à l’éditeur.

Il est vraiment temps que le législateur travaille à une sérieuse amélioration du « droit d’auteur » pour qu’enfin il protège avant tout… les auteurs.

 

PS : évidemment, tout cela est très raccourci, la complexité du droit n’est pas simple à résumer en quelques lignes.

 

Nous n’oublions pas le rapport Racine

Il y a un peu plus d’un an paraissait le rapport de la mission Racine. Depuis, il a clairement été enterré par les pouvoirs publics. J’ai signé avec 1700 autres artistes-auteurs une tribune dans Télérama rappelant que, nous, nous n’oublions pas.
Nous mettons notre pays face à ses responsabilités : la France assume-t-elle de reléguer ses artistes-auteurs et autrices dans l’angle mort de sa politique culturelle ?
Comme le disait Bruno Racine lui-même, nous ne demandons pas la lune. Nous demandons, à devoirs égaux, les mêmes droits que les autres professionnels de la culture.
Pour lire cette tribune :

Socialisation, formation, trajectoires et conditions de vie des auteurs de BD en Charente

Je viens de parcourir la riche étude sociologique que Sylvain Aquatias (sociologue) et Alain François (chercheur en histoire visuelle contemporaine) ont consacré aux auteurs et autrices de Bande Dessinée en Charente.

Si vous n’avez pas le temps de la lire en entier, je vous en recommande la conclusion, qui commence page 382. Petit extrait :

Pas de champ, pas d’habitus, peu de véritable structuration professionnelle, il faut le dire clairement : les auteurs de bande dessinée ne sont quasiment jamais uniquement des auteurs de bande dessinée. Cette profession est une invention qui a permis, en son temps, de faire reconnaître la bande dessinée. Cette légitimation a été partiellement au moins la cause de la précarisation des auteurs. Ce n’est pas là un effet habituel de la légitimation d’un art, on l’admettra. Mais il n’y a pas non plus d’École Nationale ou de Conservatoire de la Bande dessinée, de Scène Actuelle de la bande dessinée, de labels nationaux distinguant un atelier, une maison d’édition, etc. C’est la conséquence d’une légitimation qui n’a pas été à son terme, quoi qu’on puisse en dire, en laissant le marché seul diriger le destin des auteurs, sans régulation aucune.

Vous pouvez télécharger l’étude complète sur le site de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image :

PS : je suis aussi heureux de voir que les travaux des États Généraux de la Bande Dessinée continuent à nourrir en profondeur la recherche sur les auteurs et autrices de Bande Dessinée.

Une auto deux fois iconique

« La fin va vous surprendre »

En 1955, Ford présente dans les salons automobiles son nouveau concept car, la Lincoln Futura. Vif succès publique, la voiture, repeinte en rouge, apparait même en vedette dans un film hollywoodien.

Mais un concept n’est pas fait pour durer ni pour réellement rouler, et ce modèle unique est finalement vendu à un fabriquant de voitures custom. La Lincoln Futura dort 10 ans dans son garage avant de disparaître définitivement… pour mieux renaître.

En effet, le carrossier va la modifier et en faire une nouvelle icône de l’automobile : la Batmobile de la célèbre série télévisée Batman de 1966 !


Mise à jour

Étrange coïncidence : Et si Batman avait été italien ?

Bonnes années 2021 à 2061

En 2021 paraîtra la bande dessinée de Goldorak que je réalise avec Xavier Dorison, Brice Cossu, Alexis Sentenac et Yoann Guillo chez Kana d’après l’œuvre de Gō Nagai. Dire que quarante ans plus tôt, le jeune garçon de onze ans que j’étais dessinais de vrais petits albums de Goldorak de vingt pages, à moitié en copiant les BD disponibles à l’époque, à moitié en inventant ses propres images pour raconter les histoires du robot géant qu’il avait en tête.

En 2021 paraîtra aussi le premier album d’Alix classique scénarisé par Valérie. Les péripéties qu’elle y raconte seront dessinées par Chrys Millien. Elles trouveront leur conclusion dans le treizième Alix Senator qui se passe, comme toujours, une trentaine d’années plus tard. Dire que quarante ans plus tôt la petite fille qu’était Valérie se régalait dans sa chambre en lisant les aventures d’Alix…

Valérie et moi vous souhaitons donc à tous non seulement une bonne année 2021 mais aussi quarante merveilleuses années par la suite, ne serait-ce que pour compenser celle dont nous sortons. Rendez-vous en 2061, en espérant que nous aurons réussi, tous ensemble, à rendre notre monde plus beau.