Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Des milliers de SDF, femmes, hommes, enfants meurent chaque année dans la rue. Des milliers de migrants, femmes, hommes, enfants meurent chaque année en méditerranée. De l’indignation des débuts dans ces deux cas, ils restent maintenant un vague sujet médiatique, une virgule dans les journaux télé, et encore…
Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Lorsque Rémi Fraisse a été tué, on a eu l’impression que ça ne concernait que les zadistes. Lorsqu’Adama Traoré a été tué, que c’était un problème de banlieue. Lorsque Shaoyao Liu a été tué, que c’était un problème de chinois. Lorsque Zineb Redouane a été tuée, que c’était un problème de pas de chance, qu’il ne fallait pas aller à la fenêtre de son appartement quand les forces de l’ordre tirent des grenades dans tous les sens.
Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Hier, c’est probablement le cadavre de Steve Maia Caniço qui a été retrouvé dans la Loire. Pendant la fête de la musique, une intervention policière irresponsable a probablement fait se noyer un jeune homme sans histoire. Et on a déjà l’impression que cela ne va rien changer, puisque, de fait, dans l’ensemble des cas qui précèdent, c’est pour l’instant officiellement la faute à pas de chance ou, pire, la faute de la victime…
Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. Plus il y a de morts, moins la mort compte. Plus il y a de morts, moins il ne semble y avoir de responsables. Il semble même devenir normal de perdre un œil dans un tir direct ou de se faire déchirer le fondement par une matraque.
Notre société est en train de s’habituer à l’horreur. On se demande ce qui pourrait bien encore faire dérailler ce processus. On en serait presque à espérer que la prochaine victime de ce genre de “dramatique accident” soit un proche d’un politique de premier plan, d’une vedette ou d’un milliardaire. À force de charger et tirer dans le tas, ça va finir par arriver. On a l’impression qu’il n’y a plus que ça qui pourrait faire comprendre, du sommet de l’État jusqu’au café du commerce, que quand une société s’habitue à l’horreur, ce n’est pas que les pauvres, les “étrangers” et les militants qui sont menacés du pire. Quand une société s’habitue à l’horreur, c’est tout un chacun qui peut croiser son chemin.