Autofichage politique

Dans les années 70, on avait pris conscience qu’avec l’informatique, les citoyens pouvaient être fichés comme jamais, et que ce fichage était dangereux pour les libertés collectives et individuelles. En 1978, on vota la Loi relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, et la CNIL fut créée.

Quarante ans après, cette loi, et les directives européennes qui ont suivi, nous protègent toujours d’un fichage abusif. Cela veut dire, entre autres que personne n’a le droit d’utiliser des scripts informatiques pour parcourir les réseaux sociaux afin d’établir des fichiers sur les citoyens, en particulier des fichiers sur leurs opinions politiques, religieuses ou philosophiques. Heureusement, car la plupart des gens y donnent de quoi savoir assez précisément qui ils sont et ce qu’ils pensent.

Je viens de découvrir un groupe Facebook qui a été créé le 27 novembre par des gilets jaunes avec la volonté de se compter. Le principe est simple, il suffit à tout un chacun de s’inscrire dessus pour faire monter le compteur. En quatre jours, au moment où j’écris, le groupe a déjà 1 423 440 membres (même s’il en annonce par image 2 200 000 gilets jaunes, je ne sais pas sur quel principe).

Ce groupe est public, donc la liste de ses membres est publique. N’importe qui peut donc, avec une simple recherche, savoir si quelqu’un se revendique gilet jaune ou pas. N’importe qui peut savoir qui est gilet jaune parmi ses amis, ses clients, ses relations de travail. On peut même en un clic voir lesquels de ses amis Facebook sont gilets jaunes…

De plus, il est facile, techniquement, de récupérer cette liste des gilets jaunes. Ce sont donc déjà près d’un million et demi de citoyens qui se sont auto-fichées “politiquement” et ont offert ce fichier à qui le voudra. Ce fichier d’opinion étant déclaratif et public, il est a priori aussi légal qu’il est libre d’utilisation…

Il va vraiment falloir que les citoyens comprennent mieux les enjeux de la société de l’information, autrement ils vont continuer de fabriquer eux-mêmes les armes contre leurs propres libertés.


Mise à jour

On me fait remarquer que n’importe qui peut être ajouté à ce groupe sans qu’on ne lui demande rien. En parcourant la liste de ses membres, on voit que c’est très souvent le cas. Ce groupe mixe donc à la fois des membres qui se sont auto-fichés et des citoyens qu’on a fichés de manière totalement illégale et sur aucune base. Charmant.


Mise à jour

Finalement, ce 19 janvier, il n’est plus possible d’inscrire quelqu’un malgré lui dans un groupe Facebook. Les nombreux utilisateurs (dont moi) qui réclamaient ce changement depuis des années à Facebook ont enfin été entendus.

Et cela à eu des conséquences sur le groupe des comptage des gilets jaunes dont je parlais : Il est passé de 2,8 millions à 1,8 millions de membres juste en retirant tous ceux qui avaient été inscrits par un tiers et n’avaient jamais participé. Ça en faisait des gens désignés comme gilets jaunes malgré eux. Et le problème est exactement le même si on est, malgré soi, désigné comme macroniste, nationaliste, communiste, échangiste ou amateur de saucisse fumée du Pérou…

On peut même se demander si ce type de fichage politique public forcé n’a pas joué dans cette décision de Facebook. La société américaine prenait sans doute un trop gros risque légal à laisser faire…