L’auteur et le traducteur, demain

Pour commencer, merci au Centre national du livre de nous avoir invités à parler de l’avenir des auteurs dans leur Amphithéâtre du Salon du livre de Paris. Je vais essayer de vous faire un petit résumé (trop) rapide, et de surtout vous faire partager le fond de ce que j’ai pu dire sur scène.

Marie Sellier, présidente de la Société des Gens de Lettres, a rappelé avec précision la situation actuelle et les évolutions déjà en cours, en soulignant que la situation des auteurs du livre, dans leur ensemble, se précarise de plus en plus. Elle a présenté le Guide des auteurs 2017 co-édité par le CNL, la Fill et la SGDL, dont je ne peux que vous recommander la lecture.

Jörn Cambreleng, traducteur et directeur du CITL, a parlé avec beaucoup de pertinence des intelligences artificielles en train d’apparaître, entre autres, chez Google Traduction, et de leur capacité à remplacer les traducteurs pour les tâches les plus simples. Il ne leur restera alors que les tâches les plus hautes, tel que traduire de la poésie, de la grande littérature ou de l’humour. Mais ce sera les priver de tout un travail élémentaire et surtout alimentaire qui est indispensable à la plupart pour survivre.

Quant à moi, j’ai évidemment parlé des évolutions récentes de la Bande Dessinée. J’ai rappelé que les auteurs de BD étaient, pour la plupart, des professionnels à plein temps, ce qui n’est pas le cas dans la littérature, mais que l’effondrement des revenus était en train de bouleverser cette donne, en particulier à cause de l’explosion du nombre de publications. J’ai essayé d’élargir nos questionnements à tous les auteurs, rappelant qu’on avait rêvé un monde où tous les humains seraient des créateurs et que, grâce à la révolution numérique, cela devenait une réalité. Tous ces nouveaux outils ont mis des artisanats très complexes à la portée de plus en plus de gens : le synthétiseur et le home studio en musique, les logiciels d’assistance à l’écriture en littérature et la tablette graphique, le lettrage informatique et le scan pour la BD. Dans un même temps, le numérique, la mondialisation et le transfert d’une partie de la fabrication vers l’auteur (manuscrit déjà saisi en traitement de texte par les romanciers, scans faits par les dessinateurs, fichiers livrés clef en main par les coloristes…) ont beaucoup fait chuter le prix de publication d’un livre. Cette facilité d’accès à la création pour tout un chacun et cette baisse des coûts de publication expliquent, en bonne partie, l’explosion du nombre d’auteurs, d’éditeurs et de publications que ce soit dans la BD ou le livre en général.

Il n’y a aucune raison que ce mouvement ralentisse à court terme. Mais cette profusion, qui est dans l’absolu une excellent nouvelle pour la liberté de création, empêche, de plus en plus souvent, que des longues carrières se mettent en place. Le candidat créateur, passé l’apprentissage, produit quelques œuvres, mais elles sont le plus souvent totalement noyées dans le flot continu des autres productions. Il devient de plus en plus inenvisageable d’en tirer un revenu. Au bout de quelques années, l’auteur craque sous les difficultés économiques et le manque de reconnaissance, et abandonne toute idée de devenir professionnel, de se consacrer à plein temps à son art. Et c’est là qu’est, à mon avis, le plus grand risque. Bien sûr, il y aura toujours des génies spontanés ou des succès immédiats. Mais la majorité des créateurs ont besoin de beaucoup de temps pour s’accomplir, pour atteindre cette richesse et cette maturité qui font une œuvre. Et on sait à quel point c’est vrai avec la Bande Dessinée qui nécessite un plein temps (voire plusieurs) si on veut livrer un livre tous les ans. SI on continue, seuls les auteurs de best-sellers instantanés et les riches rentiers pourront consacrer leur vie à leur Art. C’est un retour en arrière incroyable, et cet élan démocratique qui nous rêvait tous en créateurs laissera place à un monde créatif aux mains de quelques rares auteurs sortis de la cuisse de Jupiter régnant au-dessus de la horde des créateurs du dimanche invisibilisés.

J’ai fini sur un appel à l’État et aux politiques, puisque le CNL qui nous recevait est le « bras armé » du Ministère de la Culture pour le livre. Le pouvoir politique avait su proposer, en son temps, la loi sur le prix unique du livre afin de maintenir l’existence des petites librairies face aux risques que leur faisait courir la grande distribution. Le pouvoir politique, en cette période électorale, doit comprendre l’urgence de mettre en place des solutions pour protéger les revenus des auteurs. Autrement, dans les prochaines décennies, à l’image de ce que connaît aujourd’hui la presse d’information, le livre connaîtra une catastrophe économique et créative qui participera, elle aussi, à la destruction de notre démocratie.

Merci à Claire Darfeuille pour le grand sérieux avec lequel elle a préparé et modéré ce débat. Et merci à Aymeric Seassau pour la photo.