Aux armes, citoyen ?

Ce matin, j’ai répondu à France Culture au sujet de la Red Team que va créer le ministère des armées avec des auteurs de science-fiction pour nourrir ses capacités d’innovation. Pourquoi m’interroger moi, alors que le recrutement ne commencera qu’à la rentrée ? En fait, j’avais fait partie d’une première expérience du genre qui avait eu lieu, discrètement, pendant les Utopiales de Nantes, le grand festival de la science-fiction.

Je me souviens que, quand on m’avait proposé d’y participer, cela m’avait posé un vrai problème de conscience. La Marine venait nous chercher, moi et deux autres auteurs de SF, dans l’espoir, je cite, de « s’affranchir autant que possible des moyens habituels de la prospective ». Nous devions apporter dans ce petit groupe de travail mixte avec des officiers « la créativité de la SF ». Ça, je m’en sentais capable, d’autant plus que la guerre de demain, voire universelle, c’est clairement dans ma réflexion d’auteur. Et puis, avec un peu de chance, on allait enfin me construire le robot géant dont je rêvais gamin.

Plus sérieusement, je m’étais posé une vraie question : est-ce que j’avais envie, est-ce que j’étais même simplement prêt à travailler, même ponctuellement, avec l’armée de mon pays ?

D’un côté, l’étudiant des beaux-arts qui avait tout fait pour être réformé du service militaire me criait « Non, mais ça ne va pas ? Tu veux les aider à tuer des gens ? Et si par hasard, tu les aidais à faire émerger une idée qui s’avérerait meurtrière ? Genre bombe nucléaire, virus Ebola ou Terminator ? » Au-delà de cette angoisse viscérale, j’essaye depuis toujours d’éviter le conflit et la destruction, tentant, vainement souvent, de rassembler et de construire… Il n’y a donc pas grande chose de pire pour moi que de prendre les armes, de partir en guerre, même intellectuellement…

De l’autre côté, à presque 50 ans, j’en ai fini avec un certain romantisme, voire un certain angélisme, et j’ai bien compris que nous n’avons pas que des amis autour de nous. Je ne suis pas prêt à dire : « OK, démantelons nos arsenaux et notre armée et, devant tant de bonne volonté, les autres vont s’incliner et faire de même. ». Je me suis donc demandé s’il n’y avait pas quelque chose de l’ordre du faux-cul à se laver les mains des questions militaires. Genre moi je suis monsieur propre, mais je compte quand même sur l’armée pour me défendre…

Comme c’était pour un seul atelier, une seule après-midi, j’ai dit oui. C’était le meilleur moyen d’éprouver la réalité de tous ces sentiments entremêlés. Et puis, bon, en quelques heures, je ne risquais pas de changer le destin de l’humanité.

J’ai bien fait d’y aller, ce fut passionnant, comme toujours quand on échange avec des gens très différents. Je me suis rendu compte qu’au-delà d’avoir des idées originales d’auteur de SF, le fait de pouvoir dessiner des schémas, voire des engins qui me passaient par la tête était un vrai plus pour mes interlocuteurs. J’ai découvert beaucoup de choses et rencontré des gens plus qu’intéressants. Bref, j’ai passé un bon moment. Et je n’ai eu à tuer personne.

Je suis sorti de cette rencontre sans avoir réussi à trancher dans mes sentiments très contradictoires. Je ne sais toujours pas si c’est la place ou le rôle d’un auteur de SF.

En fait, quelque part, ça rejoint ce que je vis dans la lutte syndicale en faveur des auteurs. Je ne suis pas, politiquement, un grand supporter du libéralisme économique, ni de l’actuel gouvernement. Mais, « en même temps », il faut bien réussir à travailler avec lui. Car si je ne devais travailler qu’avec les pouvoirs publics qui auraient exactement les mêmes valeurs sociétales et politiques que moi, je pourrais attendre longtemps…

Ceci est valable, en fait, pour l’ensemble de nos interactions. À un moment, il faut faire avec le réel, pas avec nos fantasmes.

Bref, quand j’étais plus jeune, j’étais un idéaliste qui se refusait à tout compromis. J’avais fière allure, j’étais bien drapé dans ma dignité, et je pouvais contempler le reste du monde avec les certitudes de celui qui croit connaître le bien et le mal. Depuis, j’ai compris que tout était bien plus compliqué. J’ai appris qu’il n’y avait rien de plus immobilisant que d’avoir peur de se salir les mains. J’ai compris qu’avancer, construire, faire, voire simplement exister ne pouvait se faire sans compromis. J’ai compris que vivre, pleinement, c’était accepter de se tromper. Souvent.

 

Sujet Red Team à 12 mn :

Les auteurs de BD prêts au hara-kiri

Merci à Jean-Christophe Ogier d’avoir parlé dans sa chronique de France Info de l’explosion des cotisations retraite qu’on veut imposer aux auteurs.

Les auteurs de BD prêts au hara-kiri

C’est le paradoxe du moment. D’un côté, les réseaux sociaux relaient la colère des auteurs de bande dessinée à qui leur caisse de retraite vient d’imposer sans concertation une cotisation minimale de 8% de leurs revenus bruts.

L’intention est louable. Il s’agit d’assurer un minimum décent aux vieux auteurs qui auront les yeux usés et la main qui tremble. Sauf que, comme l’explique fort bien le documentaire “Sous les bulles” de Maïana Bidegain , reportage de 52 minutes également relayé ces derniers jours de Twitter en Facebook, la précarité de la plupart des auteurs qui tentent de vivre de leur art est telle que ces 8% de prélèvement vont, selon toute probabilité, en envoyer quelques uns au chômage.

Deux d’entre eux ont devancé l’appel : Bruno Maïorana , dessinateur à succès de la série Garulfo chez Delcourt, fait le constat amer que le 9ème art n’est pas viable. Il arrête le métier. Idem pour le scénariste Philippe Bonifay . Il parait désormais près de 5.000 nouveautés chaque année. Et la plupart des auteurs gagnent moins de 1.000€ par mois.

Paradoxe, donc, car de l’autre côté, les planches originales s’arrachent dans les salles des vente. A l’image de la page de garde historique de Tintin achetée 2,65 millions d’euros le week-end dernier chez Artcurial. Et on remet ça, chez Millon, le 15 juin, en duplex Paris-Bruxelles avec du Franquin, Tillieux, Macherot, Hergé, Uderzo ou Peyo. Soit, l’âge d’or de la BD.

Jean-Christophe Ogier