Entretien sur Star Wars dans Télérama

J’ai donné une longue interview à Télérama pour leur hors-série Star Wars. J’ai un rapport très critique avec le saint-graal de ma génération, je me suis même plus d’une fois accroché avec certains de mes amis ou confrères sur le sujet. Merci au journaliste Frédéric Strauss qui me permet d’exprimer finement un point de vue sceptique et admiratif à la fois sur l’œuvre et le phénomène Star Wars.

Proximité

Ma pomme à la télé normande. Vendredi, je me suis levé un peu trop tôt à mon goût pour passer sur France 3. Je ne l’ai pas regretté, l’équipe de l’émission de Normandie Matin est non seulement compétente et cultivée, mais aussi sympathique et généreuse. J’ai donc passé un excellent moment, complété par le plaisir de recroiser une parti de la team de “Là où ça bouge”.

Je souhaite de tout cœur que cette télévision de proximité se développe bien plus. On y parle de ce qui se passe vraiment, et non de fantasmes dictés par l’agenda des uns et des autres. Nos sociétés sont bien plus belles et rassurantes pour l’avenir quand on les regarde de près que quand on les regarde de loin à travers le prisme d’une information nationale construite sur le scoop, le spectacle, l’émotion et la peur.

 

Fanzine Quatre spécial SF

En tant qu’auteur de Bande Dessinée, je viens des fanzines, les revues amateurs. J’y ai beaucoup appris. J’ai beaucoup apprécié, à l’époque, les coups de main que nous avaient donnés des pros tels que Fred, Thierry Robin, Prado, Turf, Hugues Labiano… Bref, c’est toujours un vrai plaisir, passé de l’autre côté du miroir, de pouvoir renvoyer l’ascenseur à la génération qui suit 🙂

J’ai donc donné avec plaisir une couverture et une interview pour ce spécial science-fiction du Fanzine Quatre de Rouen.

Vous retrouverez son équipe ce week-end du 26 & 27 septembre au festival de Darnétal. J’espère que j’aurai le temps d’aller passer un petit moment sur leur stand !

Interview Cyberbulle

Longue interview au sujet de La CyberBulle, 1er festival BD virtuel et réel qui commence cette semaine sur internet, et qui aura sa séquence live ce week-end à Compiègne.

J’en profite pour donner quelques nouvelles de ma production (dont un scoop sur Expérience Mort) et pour reparler de tous les combats pour la cause des auteurs.

J’espère vous voir nombreux ce week-end sur place ou à suivre les lives Internet. Nous avons créé un festival qui au lieu de parquer les lecteurs dans des files de dédicaces va leur apporter plein d’informations sur comment et pourquoi nous faisons de la Bande Dessinée. Montrez-nous que nous avons raison de penser que vous êtes curieux !

Vidéo de la session d’ouverture des États Généraux de la BD

Ça y est, nous avons enfin une excellente version de la vidéo de la session d’ouverture des États Généraux de la Bande Dessinée à Angoulême. Le son est corrigé, tout est titré et ce qui était projeté en salle a été monté avec la vidéo. Deux petites heures de spectacle truculent !

Streaming video des États Généraux de la BD

Une très bonne nouvelle pour ceux qui ne peuvent se rendre au festival d’Angoulême cette année. La session d’ouverture des États Généraux de la Bande Dessinée sera diffusée en direct en streaming video. Elle sera disponible sur la page d’accueil du site du festival vendredi matin dès 10h00.

Pour vous mettre l’eau à la bouche, voici le teaser réalisé par les équipes du FIBD à l’occasion de la conférence de presse du festival de décembre dernier.

Je profite de cette occasion pour remercier le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême pour les moyens techniques et humains mis à notre disposition. Merci pour ce remarquable sens du partenariat !

Si les artistes ne prennent plus de risques, qui s’en chargera ?

Le Vif (l’Express belge), m’a interrogé, avec d’autres, sur les attaques contre la culture en Belgique. Ayant habité Bruxelles longtemps, pensant que tout cela va au delà des frontières du plat pays, et étant très impliqué dans la défense de la Bande Dessinée, j’ai répondu avec plaisir. My two cents.

Denis Bajram : Si les artistes ne prennent plus de risques, qui s’en chargera ?

À la réduction des subventions, au délestage de la culture à la RTBF et à la précarisation du statut des artistes s’ajoute un climat délétère aux relents populistes qui tente de faire passer l’art pour une lubie d’aristos. Qu’en pensent les principaux intéressés? La parole à Denis Bajram, scénariste et dessinateur.
Année faste pour l’auteur de Universal War Two, avec un nouveau volume de sa saga SF et épique chez Casterman, mais aussi la mise sur pied et la coordination des États Généraux de la Bande Dessinée, une large association d’auteurs pour défendre un métier en danger.
Coupes budgétaires, précarisation du statut des artistes, réduction à la portion congrue de la culture sur la RTBF, censures… La culture est-elle en danger ?

Vu depuis la France, la disparition d’une émission comme 50 degrés Nord, qui proposait quotidiennement un regard amical mais précis sur tous les arts et toutes les littératures, est un signe assez inquiétant. La Belgique était une vraie terre d’accueil pour toutes les cultures. Cette richesse semble menacée. Quid du rayonnement international que ses artistes et ses acteurs culturels apportaient au pays ?

Pourquoi est-elle mal-aimée ou à tout le moins déconsidérée de nos jours ?

Est-ce le cas? Cela dépend de ce qu’on met sous le mot culture. Les gens passent des heures à regarder des séries télé, à écouter de la musique et à lire des BD. Une bonne partie de la population a même des pratiques créatives, fait de la musique, de la peinture ou écrit. A tel point qu’énormément de jeunes se dirigent vers des carrières artistiques, et que certaines professions sont même totalement en saturation: trop de créateurs, trop d’oeuvres et une visibilité pour chacun qui devient très difficile. Peut-on parler de “culture mal-aimée” alors qu’elle est souvent victime de son succès? En parallèle, il y a le problème des cultures plus élitistes, classiques ou avant-gardistes: du fait qu’elles sont souvent complexes et difficiles d’accès, leur existence reposait sur un système de subventions. Un modèle qui résiste évidemment mal à une crise financière et à la démagogie politique…

A qui la faute? Aux parents? Aux politiques? A l’école? A Internet ?

A tout le monde. On vit dans le triomphe du plaisir égoïste: consommation et autopromotion du moi. La culture la plus pointue ne sert ni l’un ni l’autre. Elle n’a de sens qu’à long terme. Mais quelqu’un s’intéresse-t-il encore au long terme ?

C’était mieux avant ?

Je ne suis pas sûr. Je me souviens quand j’étais jeune, dans les années 80, les produits culturels étaient bien plus rares. On était en pénurie. Aujourd’hui, nos tables de nuit et nos ordinateurs débordent de livres non lus, de films à voir et de séries TV en retard… Ceci dit, cette facilité d’accès à la culture, surtout à la culture populaire, ne saturerait-elle pas notre temps et finalement ne nous rendrait-elle pas plus paresseux et moins curieux ?

Si les artistes ne prennent plus de risques, qui s’en chargera ?

Quels arguments utiliseriez-vous pour convaincre les réticents que la culture doit être une priorité ?

Un des principaux rôles du créateur est de permettre à la société de prendre de la distance vis-à-vis d’elle-même: se représenter à elle-même, s’observer en changeant de point de vue. Ainsi, la culture est censée nous sortir la tête du guidon, et nous éviter de foncer dans le mur… Laisser la culture ne plus obéir qu’à un système totalement marchand, c’est très dangereux. Si les artistes ne prennent plus de risques, qui se chargera de tenir leur rôle? Qui dira: “Nous allons droit dans le mur” ?

Comment redonner le goût de la culture ?

Est-ce aux artistes à réfléchir à ça? Avec le danger de ne penser plus qu’en termes de public à conquérir au lieu de dire ce qu’ils doivent dire, au mépris de tous les risques?

Les révolutions technologiques ont de tout temps bouleversé les pratiques culturelles. N’est-ce pas un combat d’arrière-garde que de s’accrocher à une vision “classique”, immuable de la culture ?

La culture classique s’enfonce dans l’Histoire, c’est normal. Qui peut savourer Cicéron dans le texte aujourd’hui? Une nouvelle culture se dessine -très bien. Le problème n’est pas ce renouvellement: le problème est que les enjeux deviennent principalement économiques. Si les sociétés ne sont pas prêtes à financer leurs artistes, alors elles n’auront que des artistes marchands, ainsi que quelques riches qui s’amusent en créant et quelques fous inconscients et très pauvres. C’est déjà (ou encore) comme ça que fonctionne le système culturel américain, dans le plus pur libéralisme économique. C’est un vrai choix de société: si vous trouvez normal que l’Etat se retire de la culture, c’est que vous avez déjà décidé que notre modèle social européen est mort.

Et la bande dessinée dans tout ça ? On sait que la situation des auteurs est devenue particulièrement difficile, et qu’en France une certaine réaction collective est en train de se mettre en place. Qu’en espérez-vous, et à quoi faut-il s’attendre pour 2015 ?

La BD est victime de son succès: plein de lecteurs, plein de créateurs -tellement, en fait, qu’il y a trop d’albums publiés par an. Quand j’ai commencé dans les années 90, il y avait 700 sorties, aujourd’hui, on en est à 5000! Cette surabondance est signe d’une extraordinaire vitalité créatrice. Mais elle a une terrible conséquence: le chiffre d’affaires global n’ayant pas augmenté autant que les sorties, chaque album se vend moins bien en moyenne. Les revenus de la plupart des auteurs se sont dégradés année après année. On est arrivés à un niveau de précarisation inquiétant. C’est pour cette raison que quelques auteurs épargnés par cette crise ont proposé à l’ensemble de la profession d’organiser des États Généraux de la Bande Dessinée, pour faire un bilan économique et sociologique de la situation, donner la parole à tous, et essayer de trouver des solutions pour l’avenir. Première session en janvier 2015 pendant le festival d’Angoulême.

focus.levif.be

Télérama : la BD traverse une grave crise

Télérama parle de la situation des auteurs de BD. Ceci dit, je préférais presque le titre “Pour 1000 bulles t’as plus rien” de la version papier. Là ça fait carrément peur…

Grève des dédicaces : la BD traverse une grave crise

En vingt ans, la publication d’albums a décuplé… mais pas le lectorat. Le secteur de la bande dessinée est confronté au phénomène de surproduction, et les créateurs crient famine.

A 17h15 tapantes, ils ont remballé leurs gommes et leurs crayons. Dix minutes plus tard, la plupart des stands de Quai des bulles, le festival BD de Saint-Malo, étaient déserts. Le 11 octobre dernier, de nombreux auteurs de bande dessinée ont fait, deux heures durant, la grève des dédicaces. Une grande première dans le monde merveilleux des bulles et des « petits miquets ».

Pourquoi ? Parce que leur caisse de retraite a décidé d’augmenter considérablement leur ­cotisation annuelle. Pour bénéficier d’une retraite complémentaire – bien ­hypothétique –, les auteurs sont censés, à partir de 2016, verser 8 % de leurs revenus annuels (soit un mois d’émoluments). Or la moitié des 1 500 scénaristes et dessinateurs de BD français gagnent moins que le smic ! Si cette réforme a depuis été différée, la menace demeure, fragilisant encore davantage un secteur qui n’avait pas besoin de ça. […]

Le monde de la bande dessinée a besoin d’un projet

Il y a un an, lorsque, profitant de ma promo, je parlais des problèmes des auteurs à la plupart des journalistes, je sentais une certaine gène. Ils ne me le disaient pas, mais ils le pensaient si fort que je l’entendais presque : “Pourquoi un auteur à succès comme lui perd du temps à ça”.

Ce que tous les auteurs ont réussi en s’unissant enfin depuis cette fameuse lettre ouverte contre le RAAP, c’est que nos inquiétudes sont maintenant au cœur des attentions. Alors je me fais un plaisir de pouvoir enfin les donner ces interviews sur le sujet !

Denis Bajram : « Le monde de la bande dessinée a besoin d’un projet »

L’auteur des séries Universal War est devenu le porte-parole de la grogne des auteurs de bande dessinée. Pourquoi les auteurs sont-ils en colère ? Quelle est la situation du monde de la bande dessinée aujourd’hui ? Quelles sont les réflexions engagées sur le sujet ? Réponses.
Pouvez-vous résumer les problèmes actuels du monde de la bande dessinée ?

C’est une pièce en plusieurs actes. Tout dépend où l’on commence. Le gros déclencheur, récemment, a été l’annonce de la réforme du régime de retraite complémentaire des artistes et auteurs professionnels (RAAP). On doit passer d’une cotisation qui jusque-là était basée sur des tranches volontaires, à une perception obligatoire de 8% de nos revenus. En clair, pour beaucoup, c’est la perte d’un mois de revenu complet tous les ans ! Ça a secoué pas mal d’esprits. La section BD du Syndicat National des Auteurs Compositeurs (SNAC) avait tenté de mobiliser sur d’autres problèmes depuis pas mal de temps, mais d’un coup la réforme du RAAP a été le gros déclencheur. Un mois de salaire perdu, pour n’importe qui, ce serait inacceptable.

Mais il s’avère que ce n’est pas une première. Les auteurs se sont déjà fait avoir sur la TVA en 2014 : elle avait été à un moment augmentée pour le livre puis, suite à la pression des éditeurs, avait été rabaissée ensuite pour tout le monde… sauf pour les auteurs. Ce qui fait qu’on se retrouve depuis un an à payer 0,80% de TVA sur les revenus de notre travail. Ça peut paraître peu, mais à force de nous prendre quelques pour cents de plus tous les ans, cette succession de prélèvements va finir par assommer un métier qui est déjà à genoux.

Car la bande dessinée a de nombreux problèmes. Le principal est la multiplication du nombre de titres présents sur le marché. Je n’utilise pas le terme « surproduction » volontairement : pour moi, il n’y a pas de surproduction dans l’absolu, toute BD est bonne à être publiée, s’il y a des gens passionnés qui ont envie de la faire. Le problème actuel, c’est qu’il y a saturation commerciale : il y a trop de titres sur les tables des libraires. La conséquence, c’est qu’il devient très difficile de faire de la nouveauté, vu qu’elles sont noyées dans le bruit de fond. Et très difficile de rendre visibles ces nouveaux albums.

Quand j’ai commencé, il y avait 700 nouveautés par an. Maintenant, il y en a entre 3.000 et 5.000, selon les estimations. Le chiffre d’affaire global a cru, mais pas tant que ça. Ça veut dire que la part de marché de chacun a diminué. Ce ne sont pas tant les best-sellers qui sont touchés : c’est la middle class qui a été laminée, ceux qui vivaient moyennement de la BD. Ils se retrouvent beaucoup plus nombreux à partager le même gâteau. Inévitablement, ça fait s’écrouler le prix des planches, les ventes… Et à la fin, on se retrouve avec la moitié de la population de la bande dessinée qui ne gagne même pas l’équivalent d’un SMIC.

Cette « middle class de la bande dessinée » va-t-elle disparaître ?

Elle est déjà en train d’être liquidée. On ne parle plus d’un risque : c’était il y a dix ans qu’on tirait la sonnette d’alarme à ce niveau. Et pourtant, fondamentalement, historiquement, la BD est très middle class. C’était même, sociologiquement, un petit groupe involontairement caricatural d’une certaine classe moyenne française, blanche, éduquée, masculine… En accueillant plus d’auteurs, elle s’est ouverte à une vraie diversité, tant mieux. Mais économiquement, c’est une middle class en cours de prolétarisation : maintenant, on a beaucoup de gens qui n’arrivent plus à vivre de leur travail.

Risque-t-on d’avoir une reconfiguration totale du monde de la bande dessinée dans les prochaines années ?

Je ne sais pas si c’est mieux ou moins bien pour la BD. En tant que simple lecteur, quelque part, je me poserais sérieusement la question : qu’est ce que ça va changer à l’art, aux livres ?

La certitude, c’est que ça détruit lentement et sûrement une profession. Il y a plein de gens qui ont cru qu’ils pourraient gagner leur vie avec la BD et qui se rendent compte que ça ne va pas être le cas. Quand j’ai signé mes premiers contrats, en 1994, le fond de l’air était que la BD, c’était un métier. Un métier pas facile, où il fallait se battre, mais si on faisait bien son métier on pouvait en vivre. Des écoles ont été ouvertes, tout donnait cette impression d’une vraie profession. Aujourd’hui, quand on fait un album, il y a de fortes chances qu’il ait moins de 1.000 lecteurs. Moi, si on m’avait dit que mon premier bouquin ne se vendrait pas plus que mes fanzines, ça m’aurait fait un drôle d’effet… C’est extrêmement bizarre, dur, et démotivant, pour un travail dans lequel on s’investit autant… Et la question, c’est de savoir ce qui va se passer quand plein d’auteurs vont lâcher la rampe. Il n’y a pas d’assurance-chômage pour nous. Il va falloir qu’ils se reclassent, en pleine crise économique…

Votre analyse est très noire…

Oui. On n’y est pas encore totalement, mais ce vers quoi on fonce à 100 à l’heure, c’est un monde de la bande dessinée qui fonctionnerait sur le même modèle que le rock : tu fais ton groupe, mais ne t’attends pas à gagner ta vie avec. Il y aura de temps en temps des gens qui feront un tube, ramasseront le jackpot, et la grande majorité pour qui ça n’aura été qu’une passion de jeunesse.

Les États Généraux de la bande dessinée sont nés de ce constat. Quelle est l’idée générale de ce projet ?

Je suis au comité de pilotage du SNAC, le syndicat des auteurs de BD. Au niveau du syndicat, on est dans l’urgence. On se retrouve à gérer des situations et des problèmes très précis. En discutant cet été avec Benoît Peeters, qui lui n’est pas du tout au syndicat, on a remarqué que nos discussions allaient bien au-delà du territoire couvert par le SNAC, qu’on évoquait des grandes questions générales, mais qu’on avait très peu d’études sérieuses auxquelles se référer. Il faut le dire : il n’y a pas de sociologie de la bande dessinée. Ça a longtemps été un tout petit milieu. Il y a en fait très peu de personnes qui travaillent dans ce secteur et très peu d’études dessus. C’est un petit art, qui se fait quasiment entre amis.

Donc, on se retrouve avec des évolutions et questions sur l’avenir, mais on n’a pas les données qui permettraient de comprendre ce qui se passe et vers quoi on va. On s’est dit qu’il fallait rassembler ces données. On s’est aussi dit qu’il fallait rassembler les idées : il y a plein de gens qui en ont, du libraire au festival, de l’éditeur au journaliste en passant par les auteurs, évidemment. Mais un syndicat uniquement d’auteurs n’est pas fait pour gérer ce genre de projet. Cette demande là, c’est une demande de tout le peuple de la BD de savoir dans quel état il est, et d’être entendu. C’est une demande démocratique, et ça ressemble typiquement à des États Généraux. Et c’est pour cela qu’on s’est dit qu’il fallait en organiser. Car la population des auteurs est la première dans le collimateur mais les autres suivront : on ne voit pas trop comment les éditeurs s’adapteraient à un crash du corps professionnel des auteurs, comment les libraires peuvent survivre à cette saturation du marché… Les festivals sont tous dépassés par ce qui se passe, se réfugiant dans la dédicace en se demandant quoi faire de plus intéressant. Quelque part, tout le milieu est bâti sur un modèle construit entre les années 70 et 90 et qui n’a pas bougé depuis. Et puis il y a le numérique, et toutes les inquiétudes qui vont avec… Du coup, le cumul de l’ensemble justifie totalement ces États Généraux.

L’idée des États Généraux de la Bande Dessinée (EGBD) est très simple : ce sont les auteurs qui les convoquent, car à un moment il fallait bien que quelqu’un prenne la décision, mais ils sont bien ouverts à tous. L’idée, dans un premier temps, est de remonter des infos. Faire un état des lieux, du côté universitaire, sérieusement. Quelque chose qui soit à la fois sociologique, économique, historique. Dégager les tendances, voir ce qui s’est passé, regarder les statuts légaux, sociaux… Avoir les données, les compiler… Et faire cela avec intelligence, le faire faire par des gens dont c’est le métier, et qui peuvent le faire avec le détachement nécessaire, sans être dans le pathos. Des gens qui peuvent dire quand ça va bien, et quand ça va mal, ce qui se passe vraiment.

Dans le même temps, on va demander à tout ceux qui le veulent d’écrire des cahiers de doléances. Que les coloristes, les festivaliers, les auteurs, qui sais-je encore, se réunissent pour faire entendre leur parole, une parole pour le coup non aseptisée par l’analyse intellectuelle et scientifique. Et tout cela remontera aux États Généraux. Le but est de faire entendre la parole de tout le monde, que les choses soient dites. D’autant plus que ce matériel servira aux sociologues. Cela permettra aussi de faire entendre les bonnes idées de tous.

Le deuxième temps, ce sera de se réunir tous ensemble, et d’essayer de trouver un plan pour l’avenir. Ces États Généraux, on y invite tout le monde : associations représentatives du monde de la BD, syndicats d’auteurs, syndicats d’éditeurs, institutions culturelles, représentants de festivals… Que tous ces gens qui ont déjà une bonne connaissance des dossiers viennent, pour encourager la constitution de ce gros dossier commun. Les travaux universitaires seront rendus au fur et à mesure, quand ils seront prêts, ce qui permettra d’organiser des journées d’information ou des colloques intermédiaires. Dans le même temps, il y aura des réunions pour les cahiers de doléances. Ça va durer un an ou deux minimum. C’est sans doute long, mais ça permettra d’ouvrir un grand et vrai débat. Quand le second temps arrivera, beaucoup de choses auront déjà été discutées. Il sera temps, avec j’espère tout le monde rassemblé autour de la table, de construire un projet. Il nous en faut un. Pour l’instant, en se laissant guider par le quotidien, on va vers quelque chose qui n’est pas très plaisant.

Dans l’histoire de la bande dessinée, jamais encore l’ensemble de la profession ne s’était rassemblée et regardée…

Les auteurs sont par définition des hyper-individualistes. Rassembler des individualistes, c’est déjà un cauchemar. Les succès récents du SNAC en terme de mobilisation sont tout simplement ahurissants. Ce qui s’est passé à Saint-Malo – quasi 100% des auteurs qui débrayent pour aller dans une salle pour discuter – était impossible à imaginer il y a deux ans. Ça veut dire que la très grande majorité des auteurs admet que l’on va dans le mauvais sens, et s’inquiète surtout à titre individuel. Même les gros auteurs sont en train de prendre conscience que s’ils ne font pas gaffe, ils vont se retrouver dans un champ de ruines. A tous les niveaux de réussite, tous les auteurs se sentent concernés.

A côté de cela, rassembler tout le monde de la BD, c’est à dire les auteurs mais aussi les éditeurs et les autres acteurs, ça n’a jamais été facile. Même si l’initiative a été très bien accueillie par tous, on ne sait pas encore si on va réussir à rassembler tout le monde. On présentera toutes ces idées à Angoulême lors de la session d’ouverture des États Généraux, et on verra qui sont les gens de bonne et de mauvaise volonté. Ceci dit, nous sommes confiants sur leur engagement, il n’y a pas de piège, le but est même d’être totalement transparent, pour enfin sortir des visions de chapelle de chacun.

Que peut-il se passer, d’ici 3 ans, 5 ans, 10 ans… ?

J’ai bien sûr mes opinions et mes idées. Mais ce n’est pas à moi d’imposer ma vision. Je suis dans une phase où je veux essayer de représenter tout le monde. Je suis le secrétaire de l’association des EGBD, au côté du président Benoît Peeters et de la trésorière Valérie Mangin, mais j’en suis surtout le coordinateur général. Ce n’est donc pas le moment, pour moi, de présupposer ce qui pourrait sortir des travaux des États Généraux.

Pourquoi vous retrouvez-vous sur le devant, alors que vous n’êtes pas forcément le plus concerné financièrement ?

Justement parce que je ne suis pas le plus menacé. Moi, je ne suis pas inquiet à titre personnel : je me dis que dans 20 ans je serai toujours là. C’est plus facile pour des gens comme Benoît Peeters, Valérie Mangin ou moi de dire que la BD va mal, parce que ça ne va pas mal pour nous, à titre personnel. On ne va pas nous dire que l’on fait ça pour protéger nos intérêts. Dans ce genre de mouvement, il y a toujours le risque d’être vu comme corporatiste. C’est ce que l’on reproche trop facilement aux intermittents, par exemple. Moi, je n’ai que du temps à perdre dans cette histoire, je ferais mieux de faire des albums. Mais si mon métier ne va pas beaucoup changer, le contexte dans lequel je le fais risque, lui, de changer. Et je n’ai pas fait ce métier pour me retrouver parmi les derniers debout et faire partie des fossoyeurs d’un art que j’admire. Si dans 20 ans je me retrouve dans un champ de ruines, au moins, je n’aurai pas l’impression de ne pas avoir essayé. Si, finalement, il s’avérait que c’est un joli champ de coquelicots, je ne saurai pas forcément si c’est grâce aux États Généraux ou si ça devait bien se terminer de toute façon. Mais au moins, j’aurais fait quelque chose.

Thierry Soulard
pour comixtrip.fr