Dédicace à voyager dans le temps

J’ai déjà longuement expliqué pourquoi je ne fais plus de séances de dédicaces dessinées depuis près de 20 ans. C’est lors d’un festival de Saint-Malo que j’avais craqué, après la remarque de trop d’un collectionneur, qui, au loin dans la file d’attente, avait beuglé un « Ca y est, il recommence à discuter » alors que, enfin, j’avais devant moi un lecteur qui me posait des questions au lieu de juste attendre son petit dessin et sa petite signature. Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase, mais ce n’était pas la raison fondamentalement pour laquelle j’ai arrêté. Je pense surtout, et plus aujourd’hui encore qu’hier, que la séance de dédicaces est une assez mauvaise manière de promouvoir la BD (voir ici : Les dédicaces contre la BD ).

Bref, hier, à ce même festival de Saint-Malo, j’accompagnais, avec Valérie Mangin, l’excellent Stéphane Perger pour sa séance de dédicaces sur notre série Tanis quand un lecteur s’approcha, un peu gêné. Il m’expliqua qu’il rêvait depuis très longtemps d’avoir une dédicace en couleur de ma main, mais qu’il n’avait jamais pu, car j’avais arrêté avant qu’il ne fréquente un peu plus assidument les festivals. Puis il me sortit un tome 1 de Cryozone, mon premier album, publié en 1996. Il m’expliqua qu’il avait racheté cet album parce qu’il avait une particularité, la dédicace n’était pas nominative. Il me demanda, avec grande prudence, si je pouvais la mettre à son nom. Notre lecteur était assez stressé, se demandant sans doute comment j’allais réagir en voyant une de mes dédicaces revendues réapparaitre à ma table.

J’ai au contraire été touché de voir revenir ce petit morceau du passé, d’un passé où je n’avais pas encore compris que quand on me demandait une dédicace sans nom dessus, c’était pour la revendre, quand je n’avais pas encore compris que certains étaient là juste pour faire leurs petits business sur le dos d’un jeune artiste totalement fauché. Mais je n’ai pas ressenti de rancœur. J’ai au contraire eu l’étrange impression que, finalement, j’avais fait ce dessin à l’époque pour qu’il puisse faire le bonheur d’un vrai amateur aujourd’hui. Comme si j’étais monté dans une machine à voyager dans le temps, retourné trente ans en arrière faire cette petite peinture, puis revenu dans le présent pour, enfin, pouvoir poser dessus le nom de son véritable destinataire. On se croirait presque dans Universal War, non ?