Pourquoi j’ai arrêté de dédicacer
Je vais rebondir sur l’actuelle controverse sur la rémunération des auteurs de BD en dédicace. En pleine précarisation des revenus, on cherche des ressources partout, c’est compréhensible. Mais cela me questionne. J’ai l’impression que le problème est bien plus profond…
J’ai arrêté de dédicacer en 2006. Totalement. Je ne fais plus que des conférences, ateliers, démonstrations, parfois suivis d’une rare séance de signatures. J’ai pu le faire car je suis arrivé à un niveau de notoriété suffisant pour cela. Je sais que c’est une décision que tout le monde ne peut pas prendre, loin s’en faut.
Je n’ai pas arrêté de dédicacer parce que je n’étais pas payé. Ou parce que j’y perdais beaucoup de temps. Ou parce qu’on revendait mes dessins sur ebay. Ou parce que les incivilités dans les files d’attente me mettaient hors de moi. Ou parce qu’il me paraissait sidérant de voir des gens faire la queue des heures pour mes dessins les plus vite faits de l’année. Ou parce que je ne rencontrais plus mes lecteurs mais que des maniaques de la dédicace. Tous ces problèmes ont participé à ma décision, mais n’en sont pas la raison fondamentale.
Non. J’ai arrêté parce que je suis inquiet de voir les auteurs ne se montrer quasiment que sous le seul jour de la dédicace. Malgré toute la bonne volonté des quelques festivals qui ont un vrai programme culturel. Quand on entre dans une manifestation BD, on ne voit que des files de gens, cachant les auteurs qui, si on arrive enfin à les approcher, s’avèrent avoir la tête baissée sur leur dessin. Passionnant, des zombies devant des fantômes…
La plupart des manifestations ne sont pas des festivals de BD, mais des festivals de dessin original rapide sur page de garde. Une illusion de rencontre, alors que ce ne sont que des usines à faire ces petits originaux. Une machine à faire disparaître la BD et ses auteurs derrière ces petits dessins qui ne sont en rien de la BD. Car la BD, ce n’est pas ça. La BD, c’est du dessin qui demande, pour la plupart des auteurs, un bien plus long travail. La BD c’est surtout une narration qui nécessite au moins deux dessins contigus pour exister. La BD, c’est raconter. Un album de BD, ce n’est donc pas juste un écrin pour mettre un petit dessin original.
Pour résumer, la dédicace a écrasé toute autre sorte de représentation en public des auteurs de BD alors qu’elle n’a plus rien à voir avec notre art et nos pratiques. Je suis donc devenu un militant de la cause « anti-dédicace ». Qu’on remette cette pratique à sa place. Que lorsque l’on rentre dans un festival, on voit en premier des conférences, des expositions, des auteurs qui échangent avec leur lecteurs. Et que les séances de signatures ou de dédicaces ne soient que de lointains satellites des vraies rencontres autour de la vraie BD.