Ces derniers jours, on a pu constater que le SNE, Syndicat national de l’édition, a décidé de traiter la Ligue des auteurs professionnels comme un ennemi. En assemblée générale, son président lui reproche de ne pas être raisonnable, d’avoir des positions excessives, de rendre toute discussion impossible. Jusqu’à proposer d’influencer d’éventuelles élections professionnelles pour écarter les syndicats d’auteurs qui leur déplairaient, au mépris de la démocratie sociale1. Pourtant, pour ce qui est de rendre toute discussion impossible, le SNE a pris plus que sa part dans les dernières années.
Quand nous avions créé les États Généraux de la Bande Dessinée en 2015, c’était dans l’idée de rassembler le plus d’acteurs possible de la BD pour constater la situation et chercher des solutions. Beaucoup accueillirent favorablement la proposition, et acceptèrent d’y participer, dont en particulier le SNE, Syndicat national de l’édition2. Nous étions plein d’espoir.
Mais dès que nous avons publié l’étude auteurs, avec ses constats effrayants, nous avons senti que l’ambiance changeait. Au lieu de dire « il va falloir prendre ce problème à bras le corps », le reste de la chaîne du livre, dans sa très grande majorité, a détourné le regard et bouché ses oreilles. Pire, beaucoup ont nié la situation dévoilée par les réponses de 1500 auteurs et autrices de BD. Encore pire, des éditeurs ont accusé cette enquête statistique, pourtant des plus solides, d’être totalement fausse.
La grande majorité de la chaîne du livre a donc mis fin, de facto, à la discussion : comment travailler ensemble à une amélioration quand on nie l’ampleur voire l’existence d’un problème ? Pour moi qui suis un négociateur dans l’âme, moi qui suis persuadé, peut-être naïvement, que la plupart des humains veulent plutôt arranger les choses, ce fut une grande déception.
Nous, auteurs, autrices, n’avons donc pas eu d’autre choix que de constater cette situation de blocage et de passer à une revendication plus frontale pour essayer de stopper la dégradation de notre situation sociale et économique.
Ce qui s’est passé depuis cinq ans vient confirmer les pires pronostics pour les auteurs et autrices. Pourtant, ceux qui niaient le problème, et refusaient donc de changer quoi que ce soit, ceux-là viennent maintenant nous expliquer que nous sommes de dangereux syndicalistes qui menacent la gentille cohérence de la chaîne du livre…
Il n’est donc pas difficile de prévoir l’avenir si rien ne change. Dans 10 ou 20 ans, la fracture entre les créateurs et créatrices et le reste de l’industrie du livre sera totalement ouverte. Majoritairement, pragmatiquement, les auteurs et autrices feront le choix de se passer de la chaîne du livre pour accéder à leurs lecteurs. C’est à ce moment qu’on entendra tous ceux qui niaient la situation des auteurs, et en particulier le SNE, pleurer sur leur business perdu.
Si les membres du SNE veulent échapper à ce destin, c’est maintenant qu’il faut négocier. Et pas avec ceux qui ont peur d’eux ou les flattent, mais avec ceux qui leur disent la terrible vérité sur la situation. C’est maintenant, pas quand il sera trop tard pour toute la chaîne du livre.